Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j’ai commencé… Oh ! j’ai pas très bien commencé… je suis né, je le répète, à Courbevoie, Seine… je le répète pour la millième fois… après bien des aller et retour je termine vraiment au plus mal… y a l’âge, vous me direz… y a l’âge !… c’est entendu !… à 63 ans et mèche, il devient extrêmement ardu de se refaire une situation… de se relancer en clientèle… ci ou là !… je vous oubliais !… je suis médecin… la clientèle médicale, de vous à moi, confidentiellement, est pas seulement affaire de science et de conscience… mais avant tout, par-dessus tout, de charme personnel… le charme personnel passé 60 ans ?… vous pouvez faire encore mannequin, potiche au musée… peut-être ?… intéresser quelques maniaques, chercheurs d’énigmes ?… mais les dames ? le barbon tiré quatre épingles, parfumé, peinturé, laqué ?… épouvantail ! clientèle, pas clientèle, médecine, pas médecine, il écœurera !… s’il est tout cousu d’or ?… encore !… toléré ? hmm ! hmm !… mais le chenu pauvre ?… à la niche ! Écoutez un peu les clientes, au gré des trottoirs, des boutiques… il est question d’un jeune confrère… « oh ! vous savez, madame !… Madame !… quels yeux ! quels yeux, ce docteur !… il a compris tout de suite mon cas !… il m’a donné de ces gouttes à prendre ! midi et soir !… quelles gouttes !… ce jeune docteur est merveilleux !… » Mais attendez un peu pour vous… qu’on parle de vous !… « Grincheux, édenté, ignorant, crachoteux, bossu… » votre compte est réglé !… le babil des dames est souverain !… les hommes torchent les lois, les dames s’occupent que du sérieux : l’Opinion !… une clientèle médicale est faite par les dames !… vous les avez pas pour vous ?… sautez vous noyer !… vos dames sont débiles mentales, idiotes à bramer ?… d’autant mieux ! plus elles seront bornées, butées, très rédhibitoirement connes, plus souveraines elles sont !… rengainez votre blouse, et le reste !… le reste ?… on m’a tout volé à Montmartre !… tout !… rue Girardon !… je le répète… je le répéterai jamais assez !… on fait semblant de ne pas m’entendre… juste les choses qu’il faut entendre !… je mets pourtant les points sur les i… tout !… des gens, libérateurs vengeurs, sont entrés chez moi, par effraction, et ils ont tout emmené aux Puces !… tout fourgué !… j’exagère pas, j’ai les preuves, les témoins, les noms… tous mes livres et mes instruments, mes meubles et mes manuscrits !… tout le bazar !… j’ai rien retrouvé !… pas un mouchoir, pas une chaise !… vendu même les murs !… le logement, tout !… soldés !… « Pochetée » ! tout est dit ! votre réflexion ! je vous entends !… bien naturelle ! oh ! que ça vous arrivera pas ! rien de semblable vous arrivera ! que vos précautions sont bien prises !… aussi communiste que le premier milliardaire venu, aussi poujadiste que Poujade, aussi russe que toutes les salades, plus américain que Buffalo !… parfaitement en cheville avec tout ce qui compte, Loge, Cellule, Sacristie, Parquet !… nouveau Vrounzais comme personne !… le sens de l’Histoire vous passe par le mi des fesses !… frère d’honneur ?… sûr !… valet de bourreau ? on verra !… lécheur de couperet ?… hé ! hé !
En attendant j’ai plus de « Pachon »… je me suis fait prêter un Pachon pour liquider les ennuyeux, pas mieux !… vous les faites asseoir, vous leur prenez leur « tension »… comme ils bouffent trop, boivent trop, fument trop, c’est rare qu’ils se tapent pas leur 22… 23… maxima… la vie pour eux c’est un pneu… que de leur maxima qu’ils ont peur… l’éclatement ! la mort !… 25 !… là, ils s’arrêtent d’être loustics ! sceptiques ! vous leur annoncez leur 23 !… vous les revoyez plus ! ce regard qu’ils vous jettent en partant ! la haine !… le sadique assassin que vous êtes ! « au revoir ! au revoir !… »
Bon !… moi toujours avec mon Pachon je prends soin des amis… ils venaient pour se marrer de ma misère… 22 !… 23 !… je les revois plus !… mais tout résumé, sans broderie, je voudrais bien ne plus pratiquer… cependant, durer je dois ! diabolicum ! jusqu’à la retraite ! enfin, peut-être ?… pas « peut-être », les économies ! en tout ! tout de suite ! et sur tout !… d’abord le chauffage !… jamais plus de +5°tout l’hiver dernier ! nous sommes certes très habitués !… entraînés ! je veux !… l’entraînement nordique !… nous avons tenu là-haut pendant quatre hivers… presque cinq… par 25 au-dessous… dans une sorte de décombre d’étable… sans feu, sans feu absolument, où les cochons moureraient de froid… je dis !… or donc, entraînés nous sommes !… tout le chaume s’envolait… la neige, le vent dansaient là-dedans !… cinq ans, cinq mois à la glace !… Lili, malade opérée… et allez pas croire que cette glacière était gratuite ! pas du tout !… confondez rien !… j’ai tout payé ! les notes sont là, et signées par mon avocat… certifiées par le Consulat… ce qui vous explique que je suis si raide !… pas seulement du fait des pirates de la Butte Montmartre… les pirates de Baltique aussi !… les pirates de la Butte Montmartre voulaient me saigner que mes tripes dégoulinent la rue Lepic… les pirates baltiques eux voulaient m’avoir au scorbut… que je laisse mes os en leur prison la « Venstre »… c’était presque… deux ans en fosse, trois mètres sur trois !… ils ont alors pensé au froid… aux tourbillons du grand Belt… on a tenu ! cinq ans et payés !… en payant ! j’insiste ! vous pensez, mes économies !… tous mes droits d’auteur !… partis petits ! aux tourbillons !… plus les saisies du Tribunal !… la rigolade que ce fut ! oh ! j’avais un petit peu prévu !… une petite lueur !… mon complet, l’unique, je le garde, est de l’année 34 ! mon pressentiment !… je suis pas le genre Poujade, je découvre pas les catastrophes 25 ans après, que tout est fini, rasibus, momies !… je vous raconte pour la rigolade cette prémonition 34… que nous allions vers des temps qui seraient durs pour la coquetterie… j’avais un tailleur avenue de l’Opéra… « faites-moi un complet, attention ! spécial sérieux !… Poincaré ! supergabardine !… le genre Poincaré ! »
Poincaré venait de lancer sa mode ! sa vareuse ! une coupe vraiment très spéciale… je fus servi !… le complet, je l’ai là… toujours inusable !… la preuve ! !… il a tenu à travers l’Allemagne… l’Allemagne 44… sous les bombardements ! et quels ! et à travers les quatre années… de ces bouillabaisses de bonshommes, incendies, tanks, bombes ! de ces myriatonnes de décombres ! il a un peu décoloré… c’est tout ! et puis ensuite toutes les prisons !… et les cinq années de Baltique… ah, et puis d’abord, j’oubliais ! toute la sauvette Bezons-la-Rochelle… et le naufrage de Gibraltar ! je l’avais déjà !… ils se vantent maintenant de complets « nylon », d’ensembles « Grévin », de kimonos atomiques… je demande à voir !… le mien est là ! élimé certes ! entendu ! à la trame !… quatorze années d’avatars !… nous aussi on est à la trame !
Il n’est pas dans mes habitudes de rechercher le pittoresque, de m’habiller pour tirer l’œil… genre peintre… Van Dyck… Rembrandt… Vlaminck… non !… bien inaperçu, bien quelconque… puisque je suis médecin… blouse blanche… simili-nylon… très correct… chez moi donc je suis très convenable… c’est dehors que ça va moins bien, avec mon complet Poincaré… je pourrais me payer un complet neuf… certes !… en pressurant encore plus… sur tout… j’hésite… je suis tout à fait comme ma mère… économe ! économie ! mais tout de même certaines faiblesses… ma mère est morte par syncope, du cœur, sur un banc, et de faim aussi, de se priver, j’étais en prison à la « Vesterfangsel », Danemark… j’étais pas là quand elle est morte, j’étais aux a condamnés à mort », Pavillon K… j’y ai tiré 18 mois… il n’est pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, ayez pas peur de ressasser…
Je vous parle de ma mère, malgré sa maladie de cœur, l’épuisement, la faim, tout, elle est morte bien persuadée que c’était qu’un mauvais moment, mais qu’avec courage, privations, on verrait la fin, que tout redeviendrait comme avant, que le petit sou revaudrait un sou, le quart de beurre vingt-cinq centimes… je suis d’avant 14, entendu… j’ai l’horreur de la folle dépense… quand je regarde les prix !… le prix d’un complet par exemple !… je me tais… je dis : y a qu’un Président, un « Commissar », un Picasso, un Gallimard, qui peuvent s’habiller !… le prix d’un complet de « Commissar », en calories, j’aurais de quoi moi subsister, œuvrer, regarder la Seine, aller dans deux ou trois musées, payer le téléphone, pendant mettons au moins un an !… c’est que des fous maintenant qui s’habillent !… pommes de terre, carottes, entendu !… nouilles, carottes… je vais pas me plaindre !… on a connu pire !… bien pire !… et en payant !… confondez pas !… tous mes « droits d’auteur » ! tout le « Voyage » !… pas que mes meubles et mes manuscrits !… tout m’a été secoué !… vive force !… pas qu’à Montmartre et. Saint-Malo !… midi !… nord !… est !… ouest !… pirates partout !… Côte d’Azur ou Scandinavie !… la même espèce !… vous grattez pas de leur trouver ci… de leur trouver ça… tout ce qu’ils vous cherchent, eux, c’est l’article 75 au cul ! le grand Permis de vous étriper, vous voler tout, et de vous débiter en gibelotte !
À mes petites affaires !… je vous parlais de menus… moi, moins je mange mieux ça vaut… bon !… mais Lili c’est une autre affaire !… Lili doit manger… je me préoccupe… son métier avec nos menus !… certes nous avons un certain luxe : les chiens… nos chiens… ils aboyent !… un individu à la grille ?… quelque emmerdeur ou assassin ?… vous lâchez la meute ! Ouah ! ouah ! plus personne !…
— Mais où demeurez-vous ?… demanderez-vous… fier Artaban ? »
— À Bellevue, monsieur !… à mi-côte ! paroisse de Bellevue !… vous voyez ?… la vallée de la Seine… juste au-dessus de cette usine dans l’île, je suis né pas loin… je me répète… on répète jamais assez pour les durs têtus !… Courbevoie, Seine, Rampe du Pont, y en a que ça emmerde qu’il y a des gens de Courbevoie… l’âge aussi, je répète mon âge… 1894 !… je rabâche ?… je gâtouille ?… j’ai le droit !… tous les gens qui sont de l’autre siècle ont le droit de rabâcher !… et Dieu ! de se plaindre !… de trouver tout tocard et con ! entre autres, je le dirai, toute cette populace, bâfreuse, soifeuse, qu’a de la Bastille plein la gueule et de la Place du Tertre que-veux-tu m’outre !… tous ces gens sont du diable Vauvert !… Périgord ! Balkans ! la Corse !… pas d’ici… vous vîtes la débinette comme moi… où qu’ils cavalaient, sauve-qui-peut ? par millions ils retournaient chez eux ! pardi ! et l’Armée avec !… trous de taupes et pâtures !… ma nourrice à moi, à Puteaux, Sentier des Bergères… je devrais peut-être pas en parler ?… passons !
Je reviens à Bellevue… à notre régime d’extrême rigueur… moi, ça irait… moi, c’est la tête… moins je mange mieux ça vaut… je titube, certes… on peut dire : voilà ! il est soûl !… on le dit… arrangez-vous toujours pour être réputé ivrogne, bon à rien, fainéant, en plus de gâteux… un peu « repris de justice » !… vous êtes méprisé ? faites-y-vous !… question moi vieillard, je l’ai dit, moins je mange mieux ça vaut !… mais Lili est pas vieillarde, elle ! elle a ses leçons de danse à donner ! pas très lucratif ses leçons de danse !… pas le chauffage !… elle fait ce qu’elle peut… moi aussi je fais tout mon possible… eh bien, sans aller aux larmes, ça va pas du tout !… tout cru, tout net, bien honnête… on a la vie beaucoup plus âpre que le dernier ouvrier d’en face, d’en bas. de chez Dreyfus… je pense ce qu’ils ont !… securit ! Madame !… assurances, vacances… un mois le vacances !… je ferais un Poznan devant chez Dreyfus ?… que je suis le brimé ? que j’ai pas même le salaire-balai ? ils comprendraient pas !… balai chez Dreyfus ! securit ! vacances ! assurances ! je m’appellerais du bagne Dreyfus j’aurais du respect !… que je dis que je suis du bagne Gaston je fais marrer !… je suis privilégié qu’une chose !… de m’être croisé pour les Vrounzais, j’ai droit des affiches plein les murs, que je suis le traître fini, dépeceur de juifs, fourgueur de la Ligne Maginot, et de l’Indochine et de la Sicile… Oh ! je me fais aucune illusion !… ils croient pas un mot de ces horreurs, mais une chose que je suis sûr, bel bien, c’est qu’ils m’harcèleront à la mort !… tête de Turc des racistes d’en face ! matière première à propagande…
Aux choses sérieuses !… je vous parlais de l’hiver à Bellevue… du froid… plaisanterie !… j’entends des personnes qui se plaignent… je voudrais les voir un petit peu dans les conditions scandinaves… bord de Baltique et les bourrasques, sous le chaume à trous qui part au vent !… et -25°et pas pendant un week-end… cinq ans madame ! sortant de cellule !… je verrais la tétère à Loukoum cassant la glace de cette mer, prise !… et l’Achille donc ! et sa smala !… oh, mais l’essentiel !… d’abord ces jésus deux ans de gniouf, à la Venstre, et l’Article 75 au pouët ! je verrais leurs mines !… ce bien que ça leur ferait !… enfin… enfin… ils seraient regardables !… on pourrait leur serrer la main… ils seraient enfin sortis des mots…
Je vous parlais d’en bas, de l’île… il faut dire les choses, des choses qu’intéressent les vieillards… ils ont pas beaucoup de mutilés 75 %, ni d’engagés de la classe 12 !… ainsi va la vie ! c’est pas un reproche !… j’aurais été un peu ivrogne, dès mes débuts, mettons dès l’École Communale, je me serais aperçu de rien, je serais maintenant balai chez Dreyfus… avec avantages, securit, respect…
Parlons médecine… il me vient encore quelques malades… certes !… jamais vous pouvez vous vanter d’être absolument sans malades !… non ! un de temps à autre… bon !… je les examine… pas plus mal que les autres médecins… pas mieux… aimable, je suis ! oh ! très aimable ! et très scrupuleux !… jamais un diagnostic de chic !… jamais un traitement fantaisiste !… depuis trente et cinq années, jamais une prescription drôlette !… trente-cinq années, malgré tout, c’est la mort du cheval !… pas que je me tienne pas au courant !… que si ! que si !… je lis à fond tous les prospectus… deux, trois kilos par semaine !… au feu ! au feu le tout ! c’est pas moi qui serai inquiété pour « prescription à la légère » !… si vous sortez du vieux Codex… bigre ! bougre !… où que vous allez ? Assises ?… 10ème Chambre ?… Buchenwald ? Sibérie ?… Merci !… cabaliste, alchimiste dangereux ! Rien à me reprocher ! seulement un petit truc… que je demande jamais d’argent ; je peux pas tendre la main !… même pour les A.S… même les A.M.G… je démorderai pas !… idiot orgueil ! l’épicier lui ?… les nouilles ?… le paquet de biscottes ?… et le carbi ! et même l’eau du robinet ? je me suis fait plus de tort jamais prendre un rond aux malades que Petiot de les faire cuire au four !… grand seigneur je suis, voilà !… grand soigneur de la Rampe du Pont !… M. Schweitzer, l’abbé Pierre, Juanovici, Latzaref, eux peuvent se permettre des grands gestes… mais moi je fais que braque et louche !… surtout sorti de tôle, on ne sait comme !
Les malades dont je vous parlais, les derniers qui me viennent, me racontent leurs états de santé, les maux dont ils sont accablés… je les écoute… encore !… encore !… les détails… les circonstances… à côté de ce que moi Lili on a dégusté depuis vingt ans… ma doué ! pucelets !… et comment qu’on en est sortis !… tendres roses !… du tiers ! du dixième… ils seraient à ramper sous les meubles !… tous les meubles ! beuglant l’horreur !… ce qu’il leur reste de vie !… à les entendre jérémiader je peux pas m’empêcher de me dire « damné foutu corniaud idiot où tu t’es mis ? tel pétrin ?… quelle lubie ? » ma langue au chat !… à la Thomine chatte, là, qui brrrt ! brrrt ! sur mon papier… que ça lui est si fort égal toutes mes salades ! brrt ! brrt ! le monde entier indifférent ! animaux ! hommes ! l’idéal gras !… pardi !… gras comme Churchill, Claudel, Picasso, Boulganine ensemble ! postères ! postéras ! et brrtl brrt ! vous en serez aussi !… communisses-capitalisses ! Champions tous élevages gras double ! Commissars rentiers ! parfaits revenants 1900, très améliorés !… parlez-leur voir mes clients qu’ils pourraient peut-être essayer… pour leur bien ! tout pour leur bien ! peut-être manger un peu moins de viande !… pour leur digestion ! vous verrez la haine !… vous avez effleuré les Dieux !… Barbaque et Bibine ! pas une passion politique qui se puisse comparer !… dévotion, ferveur !… athée du bistek ! hostile à wisky ? rayé des vivants !
Pour ce qui me concerne, je vous disais que la vie, même ascétique, coûte encore extrêmement cher… entendons, aidés par personne ! secourus de nulle part !… ni par la mairie, ni par les A.S., ni par les Partis, ni par la Police… au contraire ! dirons… au contraire !… tous les gens que je vois sont aidés… ils maquerotent tous… couci… couça… un peu… beaucoup… une grosse enveloppe… un coin de couloir ! comme l’abbé Pierre… comme Boileau… compagnons de ceci… cela… du Roi ou de l’Armée du Salut !… comme Schweitzer, Racine, Loukoum… quelque râtelier !… Picotin brothers !… petit sou, s’il vous plaît !
Ce serait juste risible, et c’est tout… je râlerais pas si à propos du racisme on m’avait pas tout gaulé ! dix ans, je dis !… pendant dix ans ! tout de vacheries pas croire ! ils râlent pour leur Canal de Suez ?… s’ils l’avaient creusé à la poigne… ils auraient un petit peu à se plaindre je dis ! moi c’est tout travail à la main ce qu’ils m’ont volé rue Girardon !… ils l’emporteront au Paradis ?… peut-être !… dix ans de vacheries, dont deux de cellule… eux là, eux autres, Racine, Loukoum, Tartre, Schweitzer, faisaient la quête de-ci… de-là… ramassaient les ronds et Nobel !… magots énormes ! pâmés, bouffis, comme Gœring, Churchill, Bouddha !… Commissars pléthores super-pâmés ! Dix ans je dis ! ça me revient !… dont deux de récluse… l’article 75 au trouf ! qui s’aligne ? écrivains de mes deux ! personne tique, j’ai beau rabâcher, c’est comme si j’étais monté là-haut en « Cellule-party » ! comme si j’avais fait exprès de donner tout aux alcooliques de la Butte !… pas demain qu’ils me mettront une plaque, avec garde champêtre et mairie libre « ici fut dévalisé… » Je connais le monde, tout ce qui les touche pas, eux, leurs boyasses, existe pas ! tout beau !… j’oublie rien !… ni les petits vols, ni les gros… les noms non plus… tous ! rien !… comme tous les un peu imbéciles je me rattrape par la mémoire… la drôlerie que ce fut !… qu’on a profité que j’étais en cellule, l’article 75 au pouët, pour m’emporter tout ! j’ai des nouvelles de mes pillards, je me tiens au courant, ils se portent à merveille ! le crime leur a bien profité !… l’agent Tartre, donc !… à mes genoux pendant les fritz, passé idole de la Jeunesse, Grand Sâr blablateux !… pâmé, menton, cul mou, rillettes, lunettes, odeurs, tout ! métis de Mauriac et morbac !… chouïa de Claudel Gnome et Rhône ! fragiles hybrides !… bourriques et la Peste ! le crime paye !…
Puisque nous sommes dans les Belles-Lettres je vous parlerai de Denoël… de Denoël l’assassiné… oh ! qu’il avait d’odieux penchants !… s’il le fallait-il vous fourguait, bien sûr, bel et bien ! le moment venu, les circonstances… vous étiez ligoté, vendu !… quitte à se reprendre, s’excuser, comme tel… tel… (cent noms !) cependant un côté le sauvait… il était passionné des Lettres… il reconnaissait vraiment le travail, il respectait les auteurs… tout à fait autre chose que Brottin !. Brottin Achille, lui, c’est l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con… il peut penser que son pèze ! plus de pèze ! encore plus ! le vrai total milliardaire ! et toujours plus de larbins autour !… langues hors et bien déculottés…
Denoël l’assassiné lisait tout… Brottin lui est comme Claudel, il regarde que la page des « valeurs »… la lectavure, c’est le « Pin-brain-Trust » : Norbert Loukoum, président !… ah !… pensez si ça fume, se lave les pieds et joue de la trompette, en fait de lectavures ! et si ça se décide pile ou face ! ça fera qu’un auteur de plus !… des mille et des mille, plein la cave ! ils fouteraient le tout à la poubelle ?… les boueux les liraient pas !… je me moque… poubelle ! j’ai bonne mine !… vidage des ordures ? moi qu’ai deux poubelles qui m’attendent !… si j’y vais pas, qui qui ira ?… pas Brottin !… à moi la tasse !… hardi ! petit ! pas Loukoum ! plutôt mourir !… ça va faire soixante et quatre ans que je fais du « hardi, petit ! » bonne mine !… pourtant c’est encore le moment… la poubelle et « hardi ! petit ! »… de chez moi à la route c’est bien deux cents mètres… je dois dire, en descente !… je la porte à la nuit qu’on me voie pas… je la laisse à la route… mais on me les fauche !… c’est bien dix poubelles qu’on me barbote… ah, y a pas que les Épurations… c’est tout le temps la fauche, sur tout… et partout ! en plus je me fais un tort énorme de porter moi-même les ordures… la preuve on m’appelle plus « Docteur »… seulement « Monsieur »… bientôt ils m’appelleront vieille cloche ! je m’attends… un médecin sans bonne, sans femme de ménage, sans auto, et qui porte lui-même ses ordures… et qui écrit des livres, en plus !… et qu’a été en prison… vous pouvez un peu réfléchir !…
En attendant, réfléchissant, si vous m’achetiez un livre ou deux vous m’aideriez…
N’en parlons plus !… mais le fait qui me pousse à la haine… hors de moi… précisément sur cette route ! les autos !… elles arrêtent pas ! là, vous pouvez voir la folie !… la trombe vers Versailles ! Cette charge des autos !… semaine ! dimanche ! comme si l’essence était pour rien… autos à une… trois… six personnes !… goinfrées pansues, rien à foutre !… où qu’ils vont tous ?… pinter, bâfrer, pire ! parbleu !… plus ! plus !… déjeuner d’affouaîres !… ouaîres !… ouaîres !… voyouages d’affouaîres !… ouaîres !… ouaîres !… rots d’affouaîres !… rrrôâ ! que c’est pitié, moi qu’on a volé trois poubelles ! y a des milliardaires en colère que leur moteur éclate pas ! ils m’éclaboussent… et mes poubelles !… tout rotant de canards aux navets ! ploutocrates, poujades, communisses, rotant pétant plein l’autoroute ! l’union des canards aux navets ! 13o à l’heure ! plus pétant rotant pour la paix du monde que tous les gens qui vont à pied ! canards historiques !… « Relais » historique ! menu historique !… vous sortez de table de façon tellement enivrante (Château Trompette 1900) que c’est pur miracle ! pichenette ! que vous défonciez pas le remblai, l’érable, le peuplier avec ! et votre direction et le volant !… vlan !… deux mille peupliers ! autopunitif en diable !… que diable ! freins puants ! freins flambants !… toute l’autoroute et le tunnel ! joyeux drilles ivres ! doublant, triplant, s’engouffrant ! le délire, la ferveur que c’est !… ah ! Château-Trompette 1900 !… la plusss vie que ça donne !… l’abîme ! canard aux navets. mille trois cents voitures roues dans roues ! pal-sambleu Dieu, zut ! viandes si plein de sang, prêtes à roustir ! un coup de champignon ! le four ouvre ! la Messe est là ! pas à l’eau bénite !… au sang chaud ! sang, tripes, plein le tunnel !… le rare de rare qui réchappera pourra jamais vraiment se vanter s’il a tué tous les autres ou non ? Croisade ! croisons ! pèlerins bolides ! pleins la minute et le peuplier ! pétants, rotants, colères, fin ivres ! Château Trompette ! canard maison ! les C.R.S. regardent… marmonnent… agitent… gesticulent… brassent le vent !… trente bornes à la ronde les fidèles sont venus… tout voir ! tout voir ! plein les deux remblais les voyeurs !… mémères, pépères, tantines, bébés ! sadiques pécores ! le gouffre à 13o à l’heure, et les bolides, et les C.R.S. en pantaine… brassant le vent… tunnel fumant ! Château Trompette ! l’asphalte brûle !…
Oh ! si j’étais riche, je vous le dis, ou même « assuré social », ce que je regarderais tout ce désordre, toute cette dilapiderie d’azote, carbure, lipides, caoutchouc, toute cette croisaderie à l’essence, canard et super soûlerie avec le calme Napoléon ! mémères, pépères, bagnoles au gouffre !… bien sûr ! bravo !… mais le hic !… on n’a pas ce qu’il faut !… non !… tout dire ! on manque… le ressentiment vous poigne, l’aigreur, la haine… que tous ces porcs vous éclaboussent !… qu’ils flambent chaque Relais, chaque Yquem, chaque tour de roue, pour nous bien de quoi vivre un mois !… et pour même pas se raplatir ! déraciner un troëne !… leur truc masochiste me bluffe pas !… je dis ! ni la corseterie du Loukoum ! ni les bourriqueries du Tartre… ni l’œil merlan frit d’Achille… l’autre non plus le dénommé Vaillant ! vaillant de quoi ? qu’il voulait m’assassiner !… oui ! qu’il est monté là-haut exprès ! qu’il le dit partout ! qu’il l’a écrit !… eh merde ! je suis là ! il est pas trop tard ! qu’il vienne je l’attends !… je suis toujours là, je m’absente jamais, je reste exprès pour les retardataires… un printemps… deux… trois… je serai plus là… il sera trop tard… je serai mort naturel…
L’eau potable ?… ouai !… ouai !… goûtez-y !… que vous dites de l’eau de Javel ?… possible avec plein de vin peut-être ?… mais pure ?… méchante rigolade cette soi-disant eau potable saturée Javel ! imbuvable, je dis !… oh ! d’autres raisons de lamenter… certes !… ma situation tout pour tout !… et que j’ennuie le monde avec mes soupirs !… culot !… Achille Brottin me l’a dit l’autre soir : « Faites rire ! vous saviez, vous savez plus ?… » il était surpris ! « tout le monde a ses petits ennuis ! vous n’êtes pas le seul !… j’ai les miens, allez !… si vous aviez perdu comme moi cent treize millions sur la de Beers ! si vous aviez ” avancé ” deux cents millions à vos auteurs ! vous auriez un peu d’autres soucis ! tout le monde a les siens ! cent treize millions sur la de Beers !… quarante-sept millions sur le Suez ! et écoutez !… en deux séances ! et quatorze millions sur les ” Croix “ !… qu’il a fallu que je porte moi-même ! à mon âge ! à Genève ! les « croix » à l’acheteur !… heureusement que mon fils m’aidait !… quatorze millions en ” 20 francs suisses ! “… vous vous rendez compte ? » Je réfléchissais pour me rendre compte… Norbert aussi se rendait compte… il était là, il assistait à l’entretien… Norbert Loukoum, le Président de son « Pin-brain-Trust »… il opinait que c’était affreux !… les larmes lui venaient !… Achille, cher vieillard, trimbaler quatorze millions de « croix » !… conclusion : Céline vous n’existez plus !… vous nous devez des sommes énormes et vous n’avez plus aucune verve !… avez-vous honte ? quand Loukoum dit verve vous entendez une drôle de chose… tellement il a la bouche lourde grasse… l’âge ! et aussi que les mots lui sortent comme moulés… la diction « cloaque »… qu’ils lui sortent par sorte d’à-coups mous… vous parlez si il jubile par à-coups mous Loukoum Norbert… que personne lise plus mes livres !… lui, le Président du « Pin-Brain-Trust » ! le triomphe des Nuls ! Bon !… je suis fixé !… ils me haïssent… aucune surprise !… mais les amis ?… navrés soi-disant que je me rattrape pas en médecine… comme praticien… me rétablisse !… que je devrais !… patati !… dévoués impeccable ! mes couilles ! mon intuition ! mes cures merveilleuses ! patata !… ils attendent surtout que je crève, les vieux amis ! le fond du fond !… ils ont recueilli les uns les autres, tous, un peu de manuscrits, de papiers, des bouts, au moment de la grande saccagerie… dans les escaliers… les poubelles… bien assurés, prévoyant qu’au moment où je crèverais, fatal, tout ça prendrait de la valeur !… mais que je crève nom de Dieu tout de suite !…
Je sais tout ce qu’on m’a secoué, j’ai l’inventaire dans la tronche… « Casse-Pipe »… la « Volonté du Roi Krogold »… plus encore deux… trois brouillons !… pas perdus du tout pour tout le monde ! certes ! je sais aussi ! je dis rien… j’écoute les amis… ouai ! ouai ! moi aussi diable j’attends qu’ils crèvent ! eux ! eux, d’abord ! ils bouffent tous beaucoup plus que moi ! qu’une petite artériole leur pète ! espoir ! espoir !… que je les retrouve tous chez Caron, ennemis, amis, toutes leurs boyasses autour du cou !… Caron leur défonçant la gueule !… bien !… ah ! sadique Norbert ! servi chaud !… une brutalité que lui, Achille, seront ouverts d’une oreille à l’autre !… j’affirme ! que pour leurs narquoises remarques ils auront une sorte d’haut-parleur ! chacun ! vrang ! et brrrang ! comme ça, Caron !… tout est prévu ! ah ! il pensera plus à ses Suez, Achille ! ni à ses de Beers ! ni ses croix !… plein la goulette ! vrrang ! ils seront mimis dans la barque ! et tout le « Brain Trust » bien sûr avec ! tronches toutes ouvertes et yeux pendants ! le régime des passagers Caron !… je pense la cocasserie que ça sera !… bien plus drôle que Renault à Fresnes !… quand ils viennent un peu m’observer, les vieux amis, si je vais bientôt casser ma pipe, je me dis, je rigole, je les vois au Styx, comment Caron les caressera ! braoum !… vrang ! leur friponnerie ! minois ! oh ! les futés !… déjà le Loukoum, sa bouche en corolle y prête !… sa molle tortueuse… telle qu’il émet plus que des vuâââ ! wâââ !… cloaque profus de bouche !… il sera chouette d’une oreille à l’autre ! marrant Norbert !… et l’Achille ! son œil merlan frit lubrique lui pendant derrière l’oreille !… je vois !… je le vois !… ou après sa montre ?… ou en sautoir ? coquine breloque !…
Je vous le dis en toute confidence, les amis se doutent pas du tout ! bon !… bon !… ils s’amusent du cas Renault… à leur aise ! et le cas Caron ?… zut !… ils voient rien !… ils nient, ils fument, ils rotent, ils sont tout goguenards satisfaits, à peu près certains de vivre cent ans grâce à de ces petites pilules ! Madame !… et ces super-gouttes Mirador !… au moins moi une chose, corniaud entendu ! mais radar !… je sais par où Caron les piquera !… l’allure qu’ils auront sur sa barque !… je dis fendus ! vrang ! et brang ! d’une oreille l’autre !… en attendant ils me font liéchem, ils me baratent, ils pérorent, ils se grisent… si sûrs d’eux !… leurs armoires, quinze étagères, pleines de suppositoires et gouttes !… en plus, hein ! apéros ! quels choix !… sucrés et amers ! l’optimisme total !… ah ! ah !… un coup de foie gras, une cigarette, deux flûtes de Mumm, vous me direz des nouvelles ! Le « Relais » chez soi !… l’autoroute chez soi !… qu’ils vous trouvent pâle mine et à bout, si déprimé, neurasthénique ! c’est eux qui vous donnent des conseils !… que vos régimes ne valent rien ! d’abord ! d’abord ! la preuve ! la preuve ! leurs femmes leur disent bien de plus vous voir ! que vous détraquez les estomacs, les foies, les rates !… que vous éteinderiez vous tout seul tous les juillet du monde !… par votre propre cafarderie ! qu’on devrait vous défendre d’exercer !… puisque vous étiez en prison que ça serait béni qu’on vous y refourre !… d’une façon elles ont raison !… mais moi j’ai pas tort !… baveux, croulant, certes !… mais passionné ardent terrible qu’ils crèvent avant moi ! tous ! qu’ils s’y roulent bien dans les bifteks ! qu’ils fassent ce qu’il faut ! qu’ils se fassent éclater !… et à la sauce !… toutes les sauces !
Je pense… j’anticipe… les deux autres continuent à me parler… Achille, Loukoum… je les écoutais plus… ils se répètent ! « que vous étiez drôle autrefois ! » je conviens j’étais assez espiègle, je le redeviendrais peut-être… avec un petit peu de « compte en banque »… comme Achille, tiens !… comme Achille, exact !… même son « centième » en banque ! alléluia ! ou comme son grand châtreur Loukoum !… bons à lape, s’il fut, tous les deux !… mais placés, grand Ciel !… où ça tombe ! où tout tombe !… honneurs ! dividendes ! securit !… « Famille, Travail, Patrie » ? merde !… ils ont bien fait de le buter !… Verdun, patati !… je l’ai connu avec ses seize « cartes » à Siegmaringen, je sais ce que je cause.
Mais un fait est là… mes livres se vendent plus… qu’ils disent !… ou presque plus… que je suis démodé, que je radote ! entourloupes ! salades !… coup monté !… ils veulent racheter tout à ma veuve ! un morceau de pain !… pardi ! j’ai l’âge, c’est entendu ! mais le Norbert donc ! il se voit pas ? l’Achille quand vous ouvrez la porte, faut le retenir, le souffle l’emporterait ! et tout son « Pin brain Trust » avec ! c’est tout si fort comme radoterie que plus rien n’existe à côté, qu’ils comprennent plus rien, que leur façon de faire des mmm ! pfouah ! vlac ! sous eux ! foiarer !… moi je pourrais aussi faire pfoud ! pflac ! tenez Christian IV à propos foiarait pareil énormément ! Christian IV, roi du Danemark ! toute sa vie !… en tout pour tout !… comme Brottin !… il a tout tenté, tout loupé… comme Brottin… Brottin lui dans l’édition, Christian IV dans les royaumes… ses malices l’ont enseveli !… comme Brottin !… moi je suis monté là-haut me rendre compte… en son Royaume… j’ai été tâter de ses prisons… c’était plus lui, c’était son archi-descendant Christian X, méchant faux derge, abruti boche… plus tard sortant de gniouf on a demeuré en face chez lui, une soupente : Kronprinzessgade !… essayez voir, le courage, un nom de rue pareil !… vous dire qu’on en connaît un bout !… Château Rosenborg… je vous raconterai… mais en attendant, je reviens à mon actualité ! pas flambante ! à encore d’autres jours difficiles… surtout à cause de Brottin ! Brottin le maniaque gâcheur ! le philatéliste souillon ! Brottin plein de « Goncourt » plein sa cave !… plein de romans nuls, comme s’il les chiait !… vlaf ! vloof !… si vous le trouvez plus pénard l’œil encore plus merlan que coutume c’est qu’il est en train de réfléchir, cogiter, chier, son dix mille et treizième auteur, le Roi de l’Édition ça s’appelle !
Caron le sortira de réflexions ! et à l’aviron, belle madame !… vrrang !… brang !
Je m’excuse de parler tant de moi-même… je m’appesantis… des déboires ?… vous avez les vôtres !… ces gens de lettres sont terribles ! si affligés de moimoiisme !… mais les médecins donc ! un beurre !… et les plombiers ?… et les coiffeurs ? tout kif, allez !… pas un seul bonhomme modeste !… et les ministres !… et l’abbé Pierre, film en personne ?… je pense à Caron la façon qu’il leur fera passer leur moimoiisme ! tous ! à la sacrée rame plein le museau ! vrrang ! d’une oreille l’autre !… vous voyez ça ! leur décolle presque toute la tronche ! oui, leurs yeux pendent !… l’embarquement pour l’outre-là !… ce gringue aux touristes ! vrang ! brang !… d’une oreille à l’autre ! quantités de personnes très cossues avec tas de ramassis de cloches pêle-mêle !… sous-sous petits retraités !… dames aux camélias très languides, magistrats à barbe, sportsmans olympiens, tout ça à la ratatouille, en train de se faire bien fendre la face ! vrang ! si je racontais ces guignolades au lieu de mes petits mièvres avatars ?… ça remonterait peut-être mes tirages ?… Kramp est d’avis… Kramp qui fait les paquets chez Hirsch… Kramp question flair intelligence est un petit peu moins con qu’Achille… pas voué, aussi voué à tout rater… lui au moins il a un métier… il livre !… c’est rare quelqu’un qui fait quelque chose…
Faut dire… je serais d’une Cellule, d’une Synagogue, d’une Loge, d’un Parti, d’un Bénitier, d’une Police… n’importe laquelle !… je sortirais des plis de n’importe quel « Rideau de fer »… tout s’arrangerait ! sûr ! dur ! pur !… d’un Cirque quelconque !… comme ça que tiennent Maurois, Mauriac, Thorez, Tartre, Claudel !… et la suite !… l’abbé Pierre… Schweitzer… Barnum !… aucune honte !… et pas d’âge ! Nobel et Grand-Croix garantis ! Même croulants, fondants, urineux, « honoraires », « Emblèmes des Partis » ! Juanovicistes ! ça va !… tout va ! n’importe quoi vous est permis sitôt que vous êtes bien reconnu clown ! que vous êtes certainement d’un Cirque !… vous êtes pas ? malheur ! pas de Chapiteau ? billot ! la hache !… Quand je pense le « chapiteau » que j’avais !… qu’Altman qui me traite à présent de sous-chiure, de lubrique vendu monstre, honte la France, Montmartre, Colonies et Soviets, se rendait malade à bout de transes, l’enthousiasme, l’état où le mettait le « Voyage » !… pas « in petto » ! non ! du tout ! dans le « Monde » de Barbusse !… aux temps où Mme Triolette et son gastritique Larengon traduisaient cette belle œuvre en russe… ce qui m’a permis d’y aller voir en cette Russie ! à mes frais ! pas du tout aux frais de la princesse, comme Gide et Malraux, et tutti quanti, députés !… vous voyez si j’étais placé ! je vous mets les points sur les i !… un petit peu mieux que l’agent Tatre ! crypto mon cul ! miraux morbac ! à la retraite rien qu’à le regarder ! je remplaçais Barbusse ! d’autor ! les Palais, Crimée, Securit ! l’U.R.S.S. m’ouvrait les bras ! j’ai de quoi me la mordre !… ce qui est fait est fait, bien sûr !… l’Histoire repasse pas les plats !… ils se sont rabattus sur ce qu’ils ont pu, ce qu’ils ont trouvé !… sous-sous-délavures de Zola !… déchets de Bourget !… la drouille ! tout drouille !… plein les caves d’Achille !… demain Latzareff !… Madame !… Tintin !… demain ! leurs domestiques !… le tout quiconque colleur d’affiches… a son idée !
La façon que Caron va les prendre ?… the question ?… vrrang ! brang ! je suis sûr !
Mais que je revienne à mon affaire !… de temps en temps quelque entêté arrive tout de même à me découvrir, dans un tré-tréfonds de hangar sous une pyramide d’invendus… oh, je me ferais très bien une raison… d’être le tartineur qu’on lit plus… que la pure Vrounze épurée rejette ! le médecin plus damné que Petiot ! plus criminel que Bougrat ! oh ! que je serais même bien content !… mais y a la nouille ! nouille si hostile aux dialectiques ! que du cash ! Loukoum, Achille et leur smala sont garantis côté des nouilles ! eux ! d’où leurs petits airs philosophes… ôtez-leur les nouilles vous écouterez ces putois ! pas de sursis avec la nouille ! « Et votre autre corde à votre arc ? » je vous entends… « la médecine ? » les malades me fuient ! voilà ! j’avoue !… démodé ?… certes !… je veux !… je connais pas les nouveaux remèdes ? oh ! quel mensonge ! je les reçois tous les nouveaux remèdes ! je lis à fond tous les prospectus… que savent-ils de plus mes confrères ? Rien ! que lisent-ils de plus ? Rien ! l’instinct guérisseur si je l’ai ! j’en suis perclus !… tel traversé d’ondes et de fluides !… avec le quart de ce que je reçois « remèdes nouveaux »… le dixième ! j’aurais de quoi empoisonner tout Billancourt, Issy, et le reste !… et Vaugirard ! Landru me fait rire, le mal qu’il se donnait !… question « faire du bien », rien m’échappe ! les plus bouleversants progrès !… je serais pas comme tous les confrères qu’ont laissé la pénicilline sécher, moisir cinquante ans ! autre chose comme magnifique connerie que le Suez ! oh ! moi, vigile ! je peux vous rajeunir en cinq sec !… vingt… trente ans de moins ! n’importe quel nonagénaire !… j’ai le sérum là ! sur ma table !… quel rebouteux qui s’aligne ? sérieux, garanti, timbré, remboursé par les A.S. ! une ampoule avant chaque repas !… vous passez Roméo de choc ! la « Relativité » en ampoules !… je vous la donne ! vous vous rebuvez le Temps, ainsi dire !… les rides !… les mélancolies… les aigreurs ! les bouffées de chaleur… qu’est-ce que je peux faire ?… la Comédie-Française, gamine ! Arnolphe saute à la corde !… reboumé ! Madeleine Renaud, Minou, Achille au Luxembourg ! à Guignol ! et l’Académie !… Mauriac, enfin, enfin, enfant de chœur !… nous emmerdant plus !… tous ses refoulements exposés !… une ampoule avant chaque repas ! garanti par les Assurances !…
Je serais guérisseur, ça irait… ça serait une façon… et pas bête !… je ferais de mon cabinet mi-Bellevue un lieu de « refrétillement » des blèches !… Lourdes « new-look », le Lisieux-sur-Seine !… vous voyez ?… mais le hic ! je suis que le petit médecin tout simple… je serais empirique ? je pourrais me permettre… je peux pas !… ou « chiropracte » ?… non ! non plus !
J’ai le temps de méditer… repenser le pour, contre… de réfléchir ce qui me fait le plus de tort ?… mon complet peut-être ? mes grolles ?… toujours en chaussons ?… mes cheveux ? je crois, le plus surtout de pas avoir de domestique… ah, et aussi le pire du pire : « il écrit des livres »… ils les lisent pas, mais ils savent…
Je vais chercher les malades moi-même (les rares), je les ramène moi-même à la grille, je les guide qu’ils glissent pas (ils me feraient un procès), la glaise, la gadoue !… les chardons aussi… je vais moi-même aux « commissions »… voilà qui vous discrédite !… je vais aussi porter les ordures ! moi-même ! la poubelle jusqu’à la route !… vous pensez ! comment je serais pris au sérieux ? « Docteur ? Docteur ? pour la petite !… dites-moi ! savez-vous ? l’intrait sec de fibre de cœur de morue ?… une révolution il paraît ? vous savez ? et l’hibernation ? ce que vous dites ? pour les yeux de maman ? »
Oh ! que je réponde ceci ! cela ! kif !… c’est pas moi qu’ils iront croire ! défiance totale !…
Tout ça est pas grave ! vous me direz… des millions sont morts, qu’étaient pas plus coupables que vous !… bien sûr !… j’y réfléchissais croyez bien pendant les promenades à travers la ville… promenades « très accompagnées »… pas une fois ! vingt, trente fois ! tout Copenhague d’Est en Ouest… en autobus très grillagé, bien bourré de flics à mitraillettes… pas causeurs du tout… touristes « droit commun », « politiques », bien sages, en menottes… de la prison à leur Parquet… et retour, un petit ruban !… oh ! je connaissais très bien la ville déjà, mais là, en autocar de flics vous voyez la foule autrement… c’est ça qui manque à Brottin, Norbert aussi… pourtant l’ont-ils l’air « droit commun » !… « homo deliquensis » comme pas… Lombrosos crachés !… le vrai sight-seeing menottes ! leur ferait un de ces bien énorme !… ils verraient enfin les têtes de toutes les personnes des cocktails !… leurs vraies natures ! pas seulement celles de l’autocar… la foule !… la chaussée !… leurs vrais calots… leurs horribles complexes ! bouilles perruches et chacals… Politiigaard, leur Parquet ! vous grattez pas ! politii : police !… gaard : Cour !… tout vient du français !… ce qu’ils voulaient savoir… si j’avais vraiment vendu la ligne Maginot ?… les fortins d’Enghien ?… la rade de Toulon ? les Danois qui m’ont eu en cage, pas huit jours, six ans ! voulaient absolument savoir pourquoi ? mais pourquoi ? les Français, la France entière, voulaient me voir écartelé ? si c’était pour ceci ?… pour cela ?… les Danois voulaient bien ! certes !… mais ils voulaient comprendre un peu… ils torturent pas à l’aveuglette, « à la française » !… non !… ils raisonnent… pendant qu’ils raisonnent, réfléchissent, vous avez qu’attendre, ils sont lents… ils torturent pas à la légère… mais gafe ! y a du contre ! pendant qu’ils enquêtent, pondérés, sérieux, ils vous laissent très bien à pourrir dans leurs fonds de cellules… faut y avoir été !… je répète l’adresse, Vesterfangsel, Pavillon K, Copenhague… quartier des condamnés à mort… touristes, le petit tour !… l’Hôtel d’Angleterre est pas tout !… ni la « petite sirène ».
Pendant qu’ils méditent, s’ils vont vous livrer ou vous livrent pas, vous vous touillez vous-même un peu ! vos problèmes !… vous les gênez pas à fond de trou !… Tartuffes, ils sont ! dix fois comme les nôtres !… Tartuffes protestants, chapeau ! que vous creviez pendant qu’ils méditent ? ils veulent bien… puritains !… ils resteront à réfléchir vingt ans !… le temps que vous ayez plus du tout de corps… qu’il vous reste plus que des peaux pourries… des plaques… lichen… pellagre… et aveugle !… vous me direz, je veux, bien sûr, comme dans toutes les prisons du monde !… le cas Renault est pas unique… qu’ils viennent tout de même vous finir !… bien sûr ! assez pesé le pour du contre… crrac ! craac ! la nuit… la grosse lourde !… quatre hercules en blouse ! Emmenez l’objet ! Komm ! vous entendez l’égorgement ! « pip-cell » là-bas ! 11 ! 12 ! je sais ce que je cause… Tartuffe du Nord c’est quelqu’un ! Tartuffe Molière est qu’un enfant !… je l’ai assez entendu Hjelp ! Hjelp ! le lendemain, mort ! vous le voyez plus !…
Ça se passe à Fresnes ?… il va de soi !… partout !… Renault ? Demain, Cocteau !… demain Armide… l’abbé Maous est pas exempt !… monsieur le docteur Clyster !… même le Mauriac en bikini !… « express », qu’il dit !… on le rattrapera ! on rattrape tout, minuit au gniouf !
Hjelp ! c’est au secours !… vous avez compris ! vous débarquez à Copenhague… « taxi ! »… pas du tout « Hôtel d’Angleterre ! »… non !… a Vesterfangsel » !… démordrez pas ! vous insistez ! vous voulez voir !… voulez y aller ! pas la petite sirène ! vous voulez entendre ! Komm ! Hjelp !… c’est tout !…
Quand je pense aux personnes que j’entends parler politique je les vois déjà en autobus… en vrai autobus ! grillagé, sérieux, tout bourré de criminels comme vous !… pas criminels à la Charlot ! criminels bel bien en menottes et camisoles !… sous garde de douze mitraillettes !… jugez ! l’effet ! les passants flanchent, oscillent, se raccrochent aux devantures… que ça pourrait leur arriver !… leurs consciences flageolent ! trouille ! mille fois trouille !… souvenirs ! c’est rare qu’ils ont pas un petit avortement par-ci… un petit vol par-là… pas de honte ! la honte c’est d’être pauvre… la seule honte !… tenez moi, pas d’auto, médecin à pied ! de quoi j’ai l’air ?… l’utilité d’un médecin, même très imbécile, un coup de téléphone, il arrive !… l’ambulance fait souvent défaut… quant aux taxis, y en a jamais… au moins le plus idiot médecin, sa voiture !… même la réputation affreuse que j’ai, vieux gibier de bagne, j’aurais une voiture qu’on me trouverait pas si toc, si vieux… voitures et voitures ! je m’amuse ! celle, là-haut, était pas à moi !… ici non plus, aucune ! j’attends celle d’Achille ! s’il veut me montrer ses affreux comptes !… que je lui dois des sommes et des sommes, qu’il dit ! homo deliquensis, j’ai dit !… l’autobus tout entier pour lui ! et bordel ! tout son Trust avec !… Norbert à cavaler derrière ! menottes et corset ! comme ça que je vois les choses !
Arrivés à leur Préfecture c’était le moment encore d’attendre au moins cinq, six heures… qu’on vienne nous chercher… cinq six heures debout chacun en cercueil vertical, fermé à clef… j’ai fait dans ma vie je peux dire des heures et des heures de garde, faction, comme planton, poireau, en guerre comme en paix… mais là dans ces boîtes verticales du Politiigaard Copenhague, je me suis jamais senti si con… attendant d’être interrogé… de qui ? de quoi ? j’avais le temps un peu de réfléchir… ça y était ! ils ouvraient ma boîte !… ils m’aidaient à monter là-haut… il fallait !… deux flics… l’effet du béribéri et aussi d’attendre vertical… le bureau était au « quatrième »… les flics m’aidaient bien gentiment… jamais aucune brutalité ! je dois dire aussi que j’ai tout tenté pour me guérir des vertiges, pour plus fléchir en marchant… pour plus crouler… Salut !… je croule !… les séquelles de cette pellagre… vous lisez dans tous les « Traités » que c’est rien de guérir le scorbut, qu’avec quelques tranches de citron… à la bonne vôtre !… que je suis tordu pour toujours !… qu’on m’enterrera tel tordu, carabosse !… bon ! j’ai beau être tel, gâteux fini, c’est pas raison de vous perdre en route ! je vous racontais l’escalier… nous voici au « quatrième »… une petite remarque amusante à propos de leur Politiigaard… comme il est foutu… couloirs en couloirs si tarabiscotés, épingles à cheveux et tire-bouchons, que supposant que vous vous sauviez, n’importe où, n’importe quel moment, vous vous retrouvez pris dans une cour où les « dérouilleurs » vous attendent… des flics spéciaux… vous êtes massé ! et à l’hostau ! c’est pas essayer de se sauver ! moi pas question !… centenaire que j’étais déjà !… tous les « Traités » y changeront rien ! ce qui est fait… est fait !… la prison nordique !… elle est faite pour ! tenez maintenant ceux qui s’exposent à Budapest et Varsovie y en a qu’iront bien sûr en tôle !… fatal !., vous leur demanderez dans vingt ans ce qu’ils pensent du tout ?… le touriste voit rien, j’ai dit, il suit le guide… « l’Hôtel d’Angleterre », Nyehavn, les petits tatoués, la « grosse Tour »… « sirène »… son esprit est satisfait, il rentre chez lui, il peut parler, il a vu !… deux, trois chevaux de Karlsberg, la brasserie, qui portent leurs petits chapeaux l’été !… du tourisme ou je m’y connais pas !
Que je retourne à mon étage ! hissé par un flic à chaque bras… nous voilà ! ils m’assoient ! trois Kriminalassistents vont m’interroger… à tour de rôle… oh ! sans brutalité aucune !… mais si invariables fastidieux !… « Reconnaissez-vous avoir livré à l’Allemagne les plans de la Ligne Maginot ?… » toujours aussi moi invariable ! « No ! » et je signais ! aussi sérieux qu’eux ! tout ça se passait en anglais… là vous pouvez apprécier le déclin de notre langue… ç’aurait été sous Louis XIV ou mettons seulement sous Fallières jamais ils auraient osé… « Do you admit ?… do you admit ?… » mon cul ! no ! non ! signé !… sans commentaire ! une fois moi bien no ! no ! signés, on me repassait les menottes et ils me redescendaient au car… et en avant encore… toute la ville ! Est-Ouest !
Ça a été ainsi des mois et puis un moment j’ai plus du tout pu bouger… c’est eux alors qui sont venus me voir les trois Kriminalassistents… au creux de mon trou… me reposer la même question… je spécifie trou ! vous irez voir, trois mètres sur trois, six métres de fond… un puits… pour verdir, béribéri, lichen, pas mieux ! moi qu’ai vécu Passage Choiseul, dix-huit ans, je m’y connais un peu en sombres séjours… mais la Venstre, l’idéal ! une petite idée que j’y crève ? bien sûr !… sans scandale… sans brutalités… « il a pas tenu ! » regardez, je vous cherche un exemple : Renault… la façon qu’ils s’y sont pris !… enfantins précipités ! deux ans à fond de puits, ils l’avaient ! ils étaient tranquilles !… moi, cinq, six mois !… je posais ma chique !… je devais !… mutilé 75 % !… bernique !… j’ai tenu ! flutazof !
Maintenant là, dix ans plus tard, à Meudon-Bellevue, on me demande plus rien… on me taquine un peu… mais à peine… je m’occupe pas des gens ! non plus !… d’autres soucis !… le gaz… l’électricité… le charbon ! et les carottes !… les pirates qui m’ont tout secoué, tout fourgué aux Puces, ont pas à souffrir de la faim, eux !… ni de rien !… le crime paye !… des « Olympiques » pour le culot ! brassards, galons… dix !… douze cartes ! ils me coupaient la tête au canif, ils étaient sur l’Arc de Triomphe ! la gloire ! pas « en inconnus » !… au néon !
Mais j’ai peut-être tort de me plaindre… la preuve, je vis encore… et je perds des ennemis tous les jours !… de cancer, d’apoplexie, de goinfrerie… c’est un plaisir ce qu’il en défile !… j’insiste pas… un nom !… un autre ! y a des plaisirs dans la nature…
Oh ! mais je vous parlais de Thomine… Thomine, ma chatte !… je vous oubliais ! le gâtisme excuse pas tout !… je vous parlais aussi de mes malades !… mes rares, mes derniers… vu ma gentillesse, ma patience, et le fait qu’ils sont tous très vieux, et que je refuse d’être honoré ! oh, absolument !… ces rares très très vieux me viennent encore…
Pour les mœurs je date du « second Empire »… je me vois « profession libérale » !… quand j’ai payé mon « forfait », ma patente, l’Ordre, un peu de chauffage, et mon assurance-décès, j’en suis de ma poche !… la réalité !… raide ! j’ai bonne mine : médecin libéral !… vous me direz : « Saignez votre Achille ! il a qu’à vendre un peu vos livres !… » mais foutre qu’il s’en garde !… il gueule simplement que je le ruine !… putois ! qu’il m’a avancé de ces sommes !… mauvaise foi d’Achille !… un monde !… il fait tout ce qu’il peut, doubles jeux, triples ! pactes d’Apocalypse ! pour qu’on m’achète pas !… il me garde dans sa cave, il m’enterre… je serai réédité dans mille ans… mais là à Bellevue, l’heure actuelle il me reste à crever… « Ah oui, Céline !… il est dans notre cave !… il en sortira dans mille ans !… » personne parlera plus français dans mille ans ! eh, con d’Achille ! tenez c’est comme la dentelle !… j’ai vu mourir la dentelle… moi, qui vous cause !… la preuve ma mère au Père-Lachaise a même pas son nom sur sa tombe… je vous raconterai… Marguerite Céline… cause de moi, la honte… que les passants pourraient cracher…
Sans jouer les Saint Vincent de Paul ou les Münthe, il m’est souvent reproché de faire trop de place aux animaux… C’est un fait !… oui ! oui !… biscottes, lard, chènevis, mouron, « haché », tout y passe !… chiens, chats, mésanges, piafs, rouges-gorges, hérissons, nous mènent la vie dure ! et les mouettes des toits Renault !… l’hiver… de l’usine en bas… de l’île… nous nous rendons ridicules, soit !… surtout que les uns amènent les autres… hérissons, rouges-gorges, mésanges… surtout l’hiver !… du haut-Meudon… sans nous ça irait plutôt mal, l’hiver… je dis : haut-Meudon… plus loin ! d’Yveline !… on est le bout de la forêt d’Yveline, nous… l’extrême pointe… après nous c’est le bois de Boulogne, Billancourt…
Bon ! nos bêtes coûtent trop cher… j’admets… le moment de faire gafe ! nous faisons gafe dix fois par semaine ! dix autres oiseaux nous arrivent !
Le plus déjeté de mes assistés est un gâté si je me compare… et tout travaillant plus que lui !… énormément plus !… et qu’il en voit rien l’assisté ! le travail de la tête se voit pas… je finis en totale faillite… j’ai honte !… je vous prends un exemple… l’autre dimanche, une dame de Clichy, une de mes très anciennes malades, une dame tout à fait distinguée, instruite, fine, au courant des choses, vient me voir… elle avait fait le tour de Paris, en métro, en autobus… quelle témérité !… je la félicite… nullement essoufflée !… elle vient me voir pour un petit conseil… je l’ai soignée et toute sa famille… mon tour, je lui demande ce que sont devenus ceux-ci… ceux-là… des gens que j’ai parfaitement connus… des nouvelles aussi des endroits… la Porte Pouchet, Square de Lorraine, Rue Fanny… ce qu’ils ont fait de la maison Roguet ?… elle sait… elle sait tout… certains se souviennent encore de moi… ils sont devenus vieux… ils m’envoient toutes leurs amitiés, leurs meilleurs vœux… ils savent tout ce qu’il m’est arrivé… ils trouvent tout joliment injuste ! de me jeter moi en tôle !… nonobstant je serais resté à Clichy, ils m’auraient sûr écartelé !… Parlons d’autre chose !… d’hôpitaux… de l’énorme Bichat… et puis de la Mairie… et des adjoints… cocos et antis… de Naile qui s’est suicidé… il était Parisien comme moi… c’est rare en banlieue parisienne un adjoint qu’est pas des Basses-Alpes ou du Hainaut… vous vous sentez pas à votre aise en toute cette banlieue parisienne si vous êtes pas des Drôme, Cornouailles, Périgord… par exemple à la Mairie… « où êtes-vous né ? » Courbevoie, Seine… la demoiselle renfrogne… vous avez commis un impair…
Toujours est-il qu’à propos de Naile nous venons à parler d’Auffray, l’ancien maire… et puis d’Ichok… le faux docteur Ichok qui s’est suicidé, lui aussi… c’est extraordinaire, on ne sait pas, tout ce qui s’ourdit, fricote, trame, dans les couloirs d’une mairie ! triples portes capitonnées, « permanences », personne jamais là !… plus du tout les sacristies où s’affilent les dagues ! où s’achètent les « acides prussiques » ! non ! le mystère a déménagé !… vous en trouverez des épaisseurs dans les bureaux de Bienfaisance… la plus énigmatique histoire que je savais de Clichy, l’histoire de Roudière, l’employé du bureau d’Hygiène… nous en parlerons… de la fin de ce monsieur Roudière… d’un cancer ! oui ! mais attention ! la politique en était !… la preuve comme je l’ai vu !… matraqué, comme !… étendu ! son ulcère a saigné six mois !… je le ferai pas revivre le malheureux !… il a pas « une rue » comme tant d’autres… s’il avait matraqué les autres c’est lui qu’aurait la « rue Roudière »… cette bonne blague ! Raconter comme ça… choses et d’autres… me remet en mémoire l’assassinat de « la Maison Verte… » le maccabe esquivé !… banal ! un meurtre au bistrot, au zinc… le mystère piquant, qu’on a jamais retrouvé le cadavre ! on l’a pourtant vu ! le mec s’effondrer ! deux couteaux dans le dos !… servi le pote ! le temps qu’on avertisse les flics, qu’ils viennent, qu’ils voient le mort… qu’ils aillent chercher une civière… le maccabe était envolé !… pas tout seul, bien sûr… ils arrêtent tout le monde !… le tôlier, les témoins, la bonne, tout ! une heure après les flics rallègent ! micmac ! le cadavre était là, revenu !… bien le même ! trois couteaux dans le dos !… ça va plus !… ils retournent au Quart, alertent Paris !… mais le temps qu’ils retournent eux au bistrot, le cadavre encore refoutu le camp ! positif ! cache-cache !… finalement ils ont renoncé ! souvenirs en souvenirs… « Maison Verte »… Porte Pouchet, bon !… je viens à parler de Saint-Vincent-de-Paul…
« Et Saint-Vincent-de-Paul ? »
La célèbre maison de retraite… là aussi j’ai soigné du monde… des alités et des bonnes sœurs…
« Combien c’est maintenant à Saint-Vincent-de-Paul ? »
Le souci de tous les vieillards, leur hantise, le prix des pensions « en maison de retraite »… ma mère, mon père collectionnaient les prospectus des conditions à la « Fondation Bonnaviat », la « Fondation Garigari », celle des « Petits-Ménages » d’Euques-sur-Ourque… moi, je dois dire, dans mon état, je serais plutôt Saint-Vincent-de-Paul…
« Vous savez combien ils demandent ?
— Oh ! autrefois c’était pas cher !… autrefois ! mais maintenant !… maintenant Docteur 1200 francs par jour !
— Par jour ?
— Oui !… oui !… par jour !
— Vous croyez ?… vous croyez madame ?… »
Là vraiment, le comble !… 1’200francs à Saint-Vincent-de-Paul !… autant l’abbé Pierre ! même fîfi !.. je le dis, là je songe… plus fort que de jouer au bouchon !… 1’200francs par jour !… je songe, moi Lili, je pensais à nos propres moyens ! on était loin des 1’200balles !… ce que la vie a pu devenir !… un chef-d’œuvre de pas crever !… pour Brottin bien sûr 1’200francs ?… rire ! lui ses deux mille auteurs en cave, deux mille effrénés travailleurs ! pardi !… ses Titans de la Série beige, à la manivelle !… polycopie ! plagiacopes !… tout ! ils y feraient dix millions de pension ! comme la Banque de France Achille ! ses auteurs en cave ! la manivelle !… et hop ! et hop ! lui, la rotative ! toute sa clique et sa famille… tout ça des coffres qu’ils les comptent plus… en trente-six banques ! tout en cave ! auteurs et les coffres !… y a qu’à regarder les pyramides, l’imposant extérieur est rien ! ce qui compte : ce qu’est dessous ! dans les archi-cryptes profondeurs ! là, cesig momie, et ses fortes devises ! et ses deux mille auteurs esclaves ! et le Loukoum pleurard !… son Loukoum ! avec !… avec !… son châtreur-maison ! goulu, le monstre ! bouche de limace, féroce à la merde, laisse rien ! la merde est dans un salon ? Soit ! hop ! il fonce, visque ! à table !… le gros flot de bave !… lui vient ! lui sort ! il ravale tout !… comment qu’il est !
Oui ! mais en attendant, ma malade, ma vieille amie, m’avait assené un rude coup ! je restais pantois… 1200 francs à Saint-Vincent-de-Paul ! je nous voyais mal, moi, Lili… notre avenir…
Oh ! que vous me direz… le gaz voyons ! vous vous plaignez du gaz ?… mais passez-vous vous-même au gaz !… hardi ! lisez votre « journal habituel »… les gens qui ne peuvent plus se passent au gaz !… la belle affaire ! pensez que j’en connais un petit bout, trente-cinq ans de pratique !… ils réussissent pas tous les coups, de loin ! de loin ! on les ranime !… plus grave : meurent pas mais souffrent énormément !… et pour partir et pour revenir !… mille morts, mille re-vies ! et l’odeur !… les voisins accourent !… ils foutent le bordel dans votre case ! s’ils ont trop volé… hop ! le feu !… le feu aux rideaux !… vous voilà encore à souffrir en plus d’asphyxie des brûlures !… un comble !… non ! le gaz est pas une bonne affaire !… le plus sûr moyen croyez-moi, j’ai été consulté cent fois : le fusil de chasse dans la bouche ! enfoncé, profond !… et pfanng !… vous vous éclatez le cinéma !… un inconvénient : ces éclaboussures !… les meubles, le plafond ! cervelle et caillots… j’ai, je peux le dire, une belle expérience des suicides… suicides réussis et ratés… la prison peut vous aider ! vous biffer aussi l’existence !… certes ! forteresse à supprimer le Temps !… suicide petit à petit… mais tout le monde peut pas prisonner dans l’existence ordinaire… disons Bezons, Sartrouville, Clichy… ah, et aussi Siegmaringen !… là, y avait urgence un peu !… tous l’Article 75 au derge !… urgence, je répète ! ils avaient de quoi, tous ! aussi bien nababs du Château, que crevards des soupentes !… épreuve générale des nerfs !… toute la Planète à la haine !… qu’ils étaient monstres et pire que ça !… que pas un supplice suffirait… mille et mille ! et plus ! plus !… des siècles !… même mes malades du « Fidelis » qu’étaient presque déjà des morts, dégoulinants de pus, tout labourés de gale, crachant pancréas et boyaux, me demandaient aussi la façon de finir comme un rêve… Salut !… je vous dis les ministres au Château qu’étaient encore les plus nerveux !… le moyen ? si je la connaissais la façon ?… revolver ? cyanure ?… pendaison ?… Laval bien sûr avait son truc !… Laval, l’orgueil même ! il hésitait à me demander… et regardez comme il a fini !… au cyanure humide !… il était plus malin que tout le monde ! comment de Gaulle finira ? et Thorez ?… Mollet ?… ils savent pas !… ils causent !… j’irai moi, me finir dans le jardin… là !… il est grand… plutôt dans la cave ?… la cave aussi est bien propice… la chatte va y faire ses petits… régulièrement… Lili l’aide, la masse… moi, personne m’aidera… Lili aura pas d’ennuis… tout se sera passé régulièrement… le Parquet viendra constater… cause du suicide ?… neurasthénie… je laisserai une lettre au Procureur et une petite somme à Lili… Demi-tour par principe !… Rompez !… Lili aura pas grand-ohose… tout de même de quoi vivre deux, trois ans… vous parlez d’ouragans, tornades, hordes en fureur, pillards de tous les horizons ! et « mandats d’arrêt » et menottes ! qu’il nous reste encore un petit sou ?… miracle ! le monde entier en Corrida !… Je voudrais voir l’Achille, à ce sport ! lui ! sa clique ! son grand « Pin Brain Trust » déculotté !
Lili contre tous ?… je vois mal !… Lili généreuse comme personne… total généreuse ! comme une fée !… elle donnera tout !… tant pis ! j’aurai fait tout mon possible… ah ! les « Cinq sous de Lavarède » !… plaisanterie facile ! quel plat, madame ! qu’il passait d’un pays l’autre à travers mille un avatars ? terribles ! oh là là… qu’il aurait dit, nous… zut !… à travers quatre furieuses armées ! tonnantes !… du ciel et des rails ! foudroyantes tout ! roustissant tout ! hommes, trains blindés, bébés, belles-mères !… vous parlez de forteresses volantes !… escadres sur escadres ! ah, notre barda ! et la petite somme, et nous avec !… qu’est-ce qu’on a pris ! déluges sur déluges !… autre chose que le Châtelet, je vous assure !… flammes, bombes nous, réelles ! je vous jure ! Göttingen, Cassel, Osnabrück ! volcans éteints, ranimés, rephosphorés, rerémouladés !… bing ! et brroum !… les faubourgs dans les cathédrales !… locomotives dans les clochers !… perchées ! Satanbamboula ! faut avoir vu !…
Je reviens humblement à mon cas… Göttingen, Cassel, Osnabrück ? si tout le monde s’en fout !… autant que de Trébizonde ou de Nantes !… villes qu’auraient très bien pu brûler deux cents ans de plus !… et Bayeux ! et Bakou !… donc !… et Naples ? parlez !… pots au feu ! et leurs branquignols ! barbaque ! tripes ! légumes !… discours, trémolos, et statues ! blablablas !… fermez le ban ! soucis, la crotte ! nous n’en sortirons jamais !… on s’achèterait jamais rien !… les impôts, alors ?… morose crapule !… les affaires c’est l’Optimisse !… défaitiste frappe ! soucis ?… soucis ?… n’avons que trop ! que j’irais m’occuper d’Hanovre, Cassel, Götingen ? ce que leurs habitants sont devenus !… pourquoi pas des gens de Billancourt ?… Montmartre ? de la famille Poirier, Rue Duhesm ? allons ! modestie ! pudeur !… s’il vous plaît !… Lili suffit !… Lili, je vous disais a pas du tout le sens de l’épargne… moi fini, avec la petite somme aura-t-elle de quoi vivre deux ans ?… seulement… oh, pas plus ; les leçons de danse rapportent rien ! tout le temps « en tournées » les danseuses !… ou en vacances, ou enceintes… elle aura pas de quoi tenir deux ans… j’aurai tout fait, tout mon possible… rien à me reprocher !… vieux et fatigué mutilé : je m’en vais !… tout se sera passé impeccable !… rien à redire !… au fusil de chasse ?… arme en vente libre !… mon souci, séquelle de 14… jamais « hors la loi » !… j’ai su ce que c’est d’être « hors la loi », bien par la folle vacherie de mes frères ! tous traîtres larbins !… pardagon ! y a que les plus pires débiles mentaux minus acharnés, j’en ai fréquenté beaucoup, ou l’autre côté, des genres Achille, terribles vicieux cochons pleins de fric, et de Cartes de tous les Partis, plein les poches qui viennent braconner « hors la loi » !… salut, fallacieux ! « à vos bauges ! » je sais ce que je cause ! j’entends des potes soi-disant bien affranchis marles prendre le Code à la légère… oh ! là !… d’où ça sort ?… quel bureau ?… quelles enveloppes en poche ? brassard ?… empreintes ? j’attends de voir le marle idéal ! l’affranchi comme pas, comme Carco se les imagine, venir s’en payer une bonne tranche aux dépens du Gerbe !… j’attends !… aux Assises, tenez ! traiter le Président de sous-sous-nave ! en boîte !… le Procureur de bégayeur ! tous rivés ! leurs clous ! farfouillant le dictionnaire d’argot !… endroit ! envers ! demandant pardon ! le Président blotti sous son Code !… recroquevillé ! blême !…
Mais la vérité est pas ça ! hélas !… tout autre !… la Magistrature tient le bon bout… où que ce soit ! Ouganda ! Soviets !… douzième Chambre ! le premier Quart venu !… foi d’anar !… cédera jamais !… entendra jamais le marle de marle !… pas besoin de « huis clos » !… les marles de marles restent dehors ! mondains de Neuilly, barbeaux de la Villette !… salons Louis XV ou zinc Zola… Kif ! farauds la bouclent ! ils savent plus rien à la « dixième » !… peut-être autour des gibets ?… non plus !… non plus !… à la guillotine ?… au poteau ?… plutôt des mots historiques… regardez Laval… « Vive la France ! »
Oh ! oui !… j’en conviens !… « Suicide ?… votre suicide ?… la barbe !… suicidez-vous !… bavardez plus !… jocrisse !… vous nous assommez ! » j’avoue !… je déconne encore pire que tout le monde… de cette panique d’être hors la loi… conformisse merdeux, paniqueux !… cette bon dieu de trouille me fige le bic ! j’hésite… bravachon, je flanche !… je confuse… et je dis pas tout… oh ! là !… de loin !…
Quand je considère ce que j’ai loupé !… tout ce qu’ils m’avaient préparé !… le régal !… ah ! cocotte !… tristesse !… qu’ils sont venus finir ma moto ! que j’étais parti !… à ma place !… dépit !… plein les rayons !… et vlang !… et vrang !… cadre ! lampadaire ! réservoir ! vache ! vrrang !… ivres de vengeance !… sacrés coups de bottes !… comme si c’était mon propre crâne !… ce que j’ai loupé !… comme si c’était moi l’Algérie !… que je la fourgue ! et la Plaine Monceau !… les gens s’embarrassent jamais de savoir le quoi du quès !… ils demandent que la bête soit là !… c’est tout ! reste là !… en Arènes !… qu’elle soit foutue le camp ?… ah ! pas à croire !… frustrés d’hallali ? de mise à mort ? ils tournent net dingues !… les cris, l’émeute. Rue Girardon !… rue Lepic !… ah ! fumier ! fini escroc ! que mon pal était prêt ! fin prêt ! que sa moto prenne ! au moins ! un commando ? quarante talons !… quarante qu’étaient pas sur la Meuse arrêter les tanks teutons ! salut ! ma moto bécane IHT voilà la machine infernale !… quarante talons !… à défoncer, concasser, miettes ! que ça me serait arrivé bel bien si j’étais resté ! plein pif ! vrang ! brang ! comme Renault Louis… Renault lui, c’était l’usine, et 50 milliards… moi, pour le plaisir, simplement !… quand l’année fout le camp, chiasse aux chausses, vous pouvez vous attendre à tout… sept millions de déserteurs, pleins de pive, vous pouvez vous dire : ça va ! l’Apocalypse !… monde à l’envers !… mensonges partout !… de ces coups de grâce plein les nuques et dans les motos ! de ces représailles contre les objets et les culs de jatte ! de ces papouilles aux agoniques !… que j’ai bien fait de quitter la Butte !… tambours ni trompettes !… sûr, y aura d’autres Épurations !… bavelles !… canifs et petits lards ! toutes les raisons sont excellentes ! comme pour de baiser à vingt ans !… ça regarde pas !… divines raisons d’assassiner !… mais je voudrais être un peu public à mon tour ! quelques instants avant de partir… « Encore une minute s’il vous plaît, Monsieur le Bourreau ! » que je voie bien venir les autres !… d’abord ! d’abord ! où il voudra !… Place de la Concorde ! ou le Champ-de-Mars !… voyeur total ! ma place aux gradins !… j’ai payé… mutilo 75 % !… j’attends !… le laminoir qu’ils préparent ?… soit !… moi, fils du peuple comme personne ! on ne peut plus méritant boulot, je suis paré !… communisse ?… oh ! là ! là ! ma chère !… cent fois comme Boucard, Thorez, Picasso !… pas eux qui feront leur ménage… américain ?… plus que Dulles !… l’accent et tout !… sachez à qui vous adressez ! tête de pin !… je regarderai le laminoir gagnant ! s’il est atomisé ? bath !… bath !… dans le sens de l’Histoire ? parfait !… Mauriac, ça sera rien lui en feuille !… platitude, petits cris girondins ! il passera comme à la poste !… je l’encouragerai… « Vas-y ! vas-y ! huile ! huile ! François ! » mais je me ravise… je me grise peut-être ?… je verrai peut-être rien… trop vieux ! tout de même autour de moi ça vient ! petits hors-d’œuvre !.. prostates, fibromes, néos des bronches… la langue !… et de ces myocardites !… pépères !… joye ! joye !… cocos, bourgeois, épurateurs, kif aux micelles !… plus petite gourrance de sous-atome, ils existent plus ! leur néo les croche à la glotte ?… ils hurlent !… parlent plus !… si féroces à la Tribune, ils redescendent à genoux !… et au trou !… gamins !… loques à sphacèles ! ah ! du martyre ?… merdes !… grogneugneu !
Je me contente de peu… je veux !… philosophe !… à la porte à Loukoum alors !… pas de corset, pas de nylon qui vaille !… Achille non plus, et ses milliards !… toc ! toc ! je vous prie !… pas de Résistance !… ah, broyer si bien ma moto !… joujou !… ma moto de Bezons… j’ai jamais consulté qu’à l’œil… un peu autre chose que l’abbé Frime !…
Un coup, une idée !… ils me donneraient moi un prix Nobel ?… Ça m’aiderait drôlement pour le gaz, les contributions, les carottes !… mais les enculés de là-haut vont pas me le donner ! ni leur Roy ! à tous les empaffés possibles !… Oui ! les plus vaselinés de la Planète !… certes ! les jeux sont faits !… vous avez qu’avoir vu Mauriac, en habit, s’incliner, charnière, tout prêt, ravi, consentant, sur sa petite plate-forme… il se gênait en rien !… jusqu’à la glotte !..
« oh ! qu’il est beau, gros, votre Nobel ! »… je le disais hier à quelqu’un… ce quelqu’un se rebiffait ! « voyons ! mais Nimier vous propose !… ingrat !… vous avez pas lu ? simplement un peu de courage !… écrivez-nous un autre Voyage ! » les gens arrangent tout !… je peux bien avoir mon petit avis… moi ! moi !… je trouve pas le Voyage tellement drôle… Altman non plus le trouvait pas drôle… ni Daudet… alors que ce qu’on demande actuellement c’est du cocasse irrésistible !… raconter le tabassage Renault ? oui !… assez bon… le défonçage de ma moto ?… assez mièvres histoires !… le grand brasero de mes manuscrits ? banal incident !… mais que les gens se l’attrapent ! brament !… ah ! ah ! chiche ? là, voilà, je me relis… mes presque 150 premières pages… ça y est pas du tout !… ça mijote… le respect des lois m’handicape ! j’ai attrapé la gravité… bonne mine avec ma gravité !
Une autre histoire !… le directeur des Éditions Bérengères me fait des « atteintes » ! oui !… « atteintes » le terme de cavalerie !… il me recherche, dirais-je… il me recherche pour que je vienne chez eux, que je passe moi mes ours, armes, bagages à ses « Bérengères » ! vous voyez ça ?… moi mes chefs-d’œuvre ! évidemment, il hait l’Achille !… et pas d’hier !… depuis toujours ! une haine rancie ! ce qu’il donnerait pour le voir saisi, failli, bradé !… et tout son sanfrusquin aux Puces ! et qu’on lui rouvre ses dossiers, ses affaires honteuses… épongées comme ceci… cela… qu’on lui reépluche le tout !… épongées ?… chantées plutôt !… des millions par mois ? il parait… mais encore sensibles !… de ces secrets qui courent les rues !… Gertrut s’amuse ! suppute ! sa tronche si je taille ! la hure d’Achille !… oh ! mais d’abord que moi je dise oui !… hop !… j’arrive !… moi mes ours !… mes livres immortels aux Éditions Bérengères ! oh ! pas qu’Achille en crève tout de suite ! non ! qu’ait le temps d’abord de voir tout son bazar crouler ! catastrophe ! formid !… formid !… que moi j’ouvre la brèche !… que ses 2’000 esclaves profitent ! s’échappent ! alors en avant les Dossiers !… le Parquet !… pardon !… ces jouissances sensââ !… quelqu’un Gertrut ! De Morny !… je le soupçonne un petit peu dans le coin d’être un petit peu anti-sémite… ça serait un peu l’Affaire Dreyfus ?… qui les ferait s’haïr autant ?… peut-être ?… ils me diront jamais… ils se connaissent on dirait d’un siècle, tellement ils en savent l’un sur l’autre… mille ans, on dirait, de vacheries !… Achille me prend plus au sérieux… « Vous vous plaignez ?… diable ! y en a d’autres ! et qui se plaignent pas ! vous auriez pu être fusillé !… non ? » Gertrut sait bien mieux s’y prendre, il me plaint… il me rappelle mes risques, mes épreuves… « Vos meubles ! vos manuscrits ! vos quatre sous ! ils vous ont mis sur la paille !… » il s’apitoye, presque… Brottin lui c’est l’insensible !… que j’aie pas été fusillé et que je vienne me plaindre ! ah ! le culot !… les bras lui tombent… si je pouvais lui dire ce que je pense !… que ce qui m’intéresse c’est qu’ils se battent, s’écorchent, au finish !… qu’ils se dépiautent les carotides !… si je me retiens pas d’y dire tout… c’est pour les chiens, les oiseaux… que je le ménage ! pour nous aussi !… on parle toujours trop… la nouille !… nouille, d’abord ! et le carbi et le gaz !… je l’aurais traité comme je pensais je l’aurais plus revu !
« Retrouvez-nous votre drôlerie, Céline !… écrivez donc comme vous parlez ! quel chef-d’œuvre !…
— Vous êtes bien aimable, Gertrut, mais regardez-moi ! jetez un coup d’œil ! »
Je le calme.
« Je suis plus en état, voyons !… la plume me tombe !…
— Mais non, Céline !… vous êtes tout d’attaque, au contraire !… le plus bel âge !… Cervantès !… je vous apprends rien !
— Non, Gertrut !… vous m’apprenez rien !… le même âge qu’Achille !… 81 ans !… Don Quichotte !… »
Le truc de tous les éditeurs pour stimuler leurs vieux carcans… que Cervantès était tout gamin !… 81 berges !
« Et plus mutilé que vous !… Céline ! »
Il insiste !… paroles tonifiantes en diable !… le marché en main !
Pourquoi ils s’étaient disputés Achille, Gertrut ?… d’abord ?… on savait plus… ça remontait trop loin… pour un cheval ?… pour une comédienne ? on savait plus… maintenant c’était pour l’édition… autrefois, y avait eu témoins… et duels !… maintenant c’était pour les boutiques !… la question des deux quel qu’aurait le plus d’auteurs en cave ?… capriceries de vieux dingues !… je vous ai pas parlé de leurs tronches, les deux… un moment de vieillerie, plus beaucoup les traits, l’Époque qui compte !… ils sont d’avant la « Grande Roue » ? ou d’après ?… Gertrut De Morny portait monocle… et monocle bleu ciel !… il aurait été de la jaq ? possible !… en plus des filles ?… oh ! riche ?… tout !… mais y avait une expression que vous reconnaissiez bien l’Achille… son sourire !… sourire horriblement gêné de vieille chaisière prise sur le fait, toujours en train de taper dans le tronc… Gertrut, lui, c’était son monocle… qu’il barre pas ! les grimaces qu’il faisait ! que ses peaux des rides lui recouvrent pas la vue… Achille, son sourire si gêné, avait été son puissant charme, vers 1900… « l’Irrésistible », on l’appelait… Watteau !… Fantin-Latour !… « au bazar du Temps »… au fouillis, tous les vieux articles se ressemblent… monocles, grimaces, paupières, moumoutes… sourires… vieilles chaisières… vieux beaux…
Maintenant c’était plus question de dames ni d’affaire Dreyfus !… de moi qu’il s’agissait… s’approprier mes chefs-d’œuvre !… mes immortels livres que personne lit plus… (Achille dixit)… dans l’élan de leur totale vacherie ils se rendent plus compte !… sûr, ils en ont plein leur cave des Géants de la plume !… des bien plus formidables que moi !… dits pédérastes ! dits « droit-commun ! » dits collabos !… dits fellagahs !… dits sadistes fous !… dit moscovites ! pléthore de génies !… génies bébés !… génies ramolos !… génies femelles… génies riens !
Revenons aux faits historiques… on m’enlèvera jamais de l’idée que Fred Bourdonnais, mon premier mac, est sorti tout exprès de chez lui, tout seul, et au clair de lune, pour se faire buter, Esplanade des Invalides… on y assassinait tous les jours !… soit ! et il le savait !… c’était l’Esplanade à la mode… qu’il était vicieux ?… bien sûr !… mais c’était pousser le vice au-delà de tout, minuit et tout seul Place des Invalides !… ce qui lui est arrivé, devait !… le marrant, c’est que Bourdonnais, rendue son âme, minuit place des Invalides, je suis fourgué, butin !… la marquise Fualdès m’héritait !… bel et bien !… butin du coquin !… et que je te fourgue !… encore !… encore !… une fois de plus… deux fois de plus !… moi et mes chefs-d’œuvre immortels !… « ou y a de la gêne » !… marlous, marlotes, me laissent rien… « il est en prison, qu’il en crève ! » Je pourrais un petit peu savoir !… déjà à l’école communale et puis pour la ligne bleue des Vosges, poésie !… poésie ma perte ! toujours !… de mieux en mieux ! ah ! sacrificiel ? ta sale gueule !… ton sang ! tes meubles !… ta lyre !… tes livres !… au gniouf ! fumier ! tout !… on t’attend !…
Vous pensez maintenant le Brottin qui me cligne !… lui ou Gertrut ? que me fout !… ou la Mar-quise ?… bonnes mines !… macs tous !… au turf ?… personne ! moi ! à moi la cuisine ! moi, le boulot !… que je vous trouve une drôlerie, quelque chose… les macs, maquerelles, qu’ont tout fait, tout fait pour que je crève, pas parvenus, sont encore là, gueules grandes ouvertes ! que je les régale !… plus drôle !… plus drôle !… ils exigent !… trépignent !…
Drôle ?… drôlerie ?… que le lendemain de l’assassinat, Esplanade des Invalides, moi, mon tour, j’étais agrafé ! à l’autre bout de l’Europe !… et pas pour rire !… pour le compte !… six piges !… arrestation burlo-comique ! par les toits !… cavalcade entre les cheminées !… fort commando de flics, revolvers au poing !… je vous assure qu’il faisait frais sur les toits de Copenhague, Danemark, 22 décembre !… allez-y voir !… rendez-vous compte ! touristes, vous risquerez rien !… Ved Stranden, 20 (tuve en danois !) vous trouverez !… en bas l’épicerie ! Bokelund !… l’autre côté de la rue, vis-à-vis, grand illuminé, nuit, jour, le National Tidende… tout l’immeuble ! un journal… vous êtes forcé de pas vous perdre… donc fin décembre c’était le moment du grand hallali « collabo »… le tout-délire d’Épuration !… les Arènes d’Europe ! comme maintenant à Pest !… comme demain re-ici !… l’Épuration comme le coït, les amours, tantôt c’est ici !… là !… ailleurs !… il en faut !… l’aubaine que j’étais ! ma bidoche !… que je tombais à pic ! moi, et Lili et Bébert !… d’un toit à l’autre ! les bêtes traquées font des prodiges pour échapper les dépeceurs ! ici !… là !… partout !… la chasse est un sport !… soit !… mettons, vous êtes d’avides touristes !… chassez les souvenirs !… en chasse ! je veux, tout s’oublie… on a bien oublié Verdun… à peu près… Ypres veut plus rien dire… mais là en petit, notre escalade de Ved Stranden, Lili, moi, Bébert, les toits les gouttières… les poulets armés, méchants feux braqués… cache-cache autour des cheminées… Noël 45 !… ils doivent tout de même un peu se souvenir… Copenhague, Danemark, Ved Stranden… allez-y voir, je serais surpris que les gens aient tout oublié… mais au fait pas que le National Tidende qui relançait la meute et comme !… le Berlingske !… le Land og Volk !… le Politiken !… leur presse de chacals !… tous !… tous !… ce que j’avais vendu comme réseaux entiers d’israélites !… en plus des forts de Verdun ! de l’estuaire de la Seine !… puisque j’étais là, qu’on m’avait, je payerais pour le Roi, sa Dronin, pour le pacte anti-Komminform ! le Frikorps ! (leur L.V.F. !)… je tombais !… un beurre !… je rachetais tout !… toutes les taches !… le sang sur les clefs… anti-Macbeth !…
Ça m’étonnerait qu’on se souvienne plus ! allez-y voir… Ved Stranden, tuve… en bas : Bokelund, épicier…
Tous leurs journaux, titres… comme ça !… leurs ploutocrates droites aussi épilos que leurs cocos. Bopa compagnie ! vous direz : ma viande c’est facile !… je fais l’union sacrée, à ravir !… conservateurs et moscovites !… « on l’empale t’y ?… pardi !… tudieu !… il est fait pour !… » pas un pli sur mon cadavre… que des baisers !… je vois ce que je suis utile : la rambinerie des pires hostiles !… magie !… magie !…
Je m’amuse !… la question d’avoir vendu les plans de la Ligne Maginot ?… entendu ! certain ! mais une chose était à savoir… combien ? la somme ?… on lançait des chiffres… la veuve Renault a rien vendu… mais pour les milliards ?… pardon !… du sérieux !… pour ça qu’on entend tant parler de Louis l’empereur de Billancourt… et de ses vertèbres ! et de son martyre ! et moi tout aussi martyr mais pas le rond vous verriez ni la veuve ni le fils ramener leur pourquoi du comment !… ni les radios ni l’embaumage !… que non !… martyr sans le sou a droit peau de balle !… des bien plus martyrs que Renault y en a plein les puits et les fours ! et qu’on a pas radiographiés, ni minuté leurs agonies… ni frères de la Charité !… que leurs veuves se sont remariées bien coites, bien muettes !… et dont les fils sont allés se battre… quelque part !… Dien-Pen-hu ! Oranais !… pas d’histoires ! moi, j’irais ramener ma cerise qu’on m’a fait tous les torts possibles et qu’on arrête pas de m’harceler ? que c’est la honte… etc… « Salut, sale hure ! bien fait ! servi ! »… beaucoup mieux les voir ranimer la flamme !… remonter les Champs-Élysées ! prendre la rue de Châteaudun d’assaut, les formid bûchers qu’ils se préparent ! oh ! les sensââ super-Buda !… plus, ces irritations d’artères !… toutes ces petites prostates gonflées ! gonflées !… les lendemains qui hurlent !… « bouteille d’eau minérale !… eh ! nouilles !… »
Le Bourdonnais, l’assassiné, était bien faux derge, tartufe, maque… oh ! pas plus, pas moins, qu’Achille ou Gertrut… mais lui acculé par les dettes, à-valoirs, chèques sans dépôt !… comment ça s’est terminé, je vous ai dit… il aurait eu la « couverture », il vivrait encore, on l’aurait pas emmené se promener… mais pas couvert ? c’était joué ! c’était fatal !… Carbuccia, une fleur ! un touriste !… « selon que vous serez »… moi, vous pensez !… moi, mes ours ! où j’ai été dans la culbute ! livré aux croquants dépravés !… armes et bagages !… jamais ils s’étaient tant repus !… porcs !… le pire, le poids comme ils sont lourds !… leurs roublardises… ces épaisseurs ! si grasses, épaisses, qu’ils vous en laissent plein les doigts… des subtilités ! vous avez des heures vous laver les mains !… poisseux !… Le Bourdonnais était fadé ! jeune hippotame ! s’ils l’ont vu s’amener… gros sabot d’astuces !… l’Esplanade, le soir… un gros trou dans le dos !… étendu !… au clair de la Lune ! La mère Fualdès hérite ! m’hérite et fourgue ! passe à l’Achille !… football, mes trésors ! mes génies !… rugby !… Fualdès touche, échappe Achille marque ! gagne !… emporte tout !… m’enfourne en cave !… moi, mes ours !… salut !… on me voit plus ! la marquise de Fualdès digère… voilà qu’est passé !… une époque !… Voltige ! bouillon ! bâillon ! rigodon !… à l’année prochaine, sur la glace !
Un bidasse dans tout ça, un beau ? mézigue cave !… chouette et gâté !… pas d’hier, je répète depuis la « Communale » Louvois !… voilà qui nous rajeunit pas… aux Impressionnistes, à l’affaire Dreyfus ! la Communale, c’est le la du peuple… Mauriac peut parler « communisse » il saura jamais ce qu’il cause ! il est tout Chartron ! à mort !… Chartron, je le flatte !
À cette époque donc, pavois la chiasse, toute la grelottine au pillage, tous les déserteurs au triomphe, toute la remontée des francs-foireux, vengeance des quarante millions de trouilles, si c’était bon que j’aille regarder ! comme si Larengon relaps, Triolette en « bikini de choc » allaient traverser le pont de Pest… j’aurais été chez ma mère rue Marsollier, ils me précipitaient… comme Le Bourdonnais !… toc !… comme rue Girardon… suffit que vous êtes le « puant » ! « il doit ! voilà !… qu’on le débite ! » Vaillant qui s’est assez vanté, et qui regrette encore amèrement de m’avoir raté de si peu… là tout de même il me manquait pas !… chez ma mère, 74 ans…
Ils m’ont rien laissé… pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit… maccab j’aurais pué… je les aurais gênés… mais là j’ai été bien discret, ils ont pu emporter tout fourguer tout aux Puces ! à la Salle !… bandez ! bandez ! bandez bradeurs !… je suis comme la France !… tout aux bradeurs ! l’ouragan m’emporte !… mon bulletin avec !… soixante et trois ans dans huit jours !… assassins, vous l’avez dans le prose !… plongeon du pont de Pest ? combien de mon espèce ?
Ça sera un jour bien amusant qu’un autre Lenôtre des temps à venir retourne les tombes et les statues, les auréoles et les « Actions »… combien les « purs » se sont beurrés ? combien de de Beers ? combien de Rhône ? Châteaux, Pépées, Trésors, Écuries, Ambassades ?… plus que ceux de 89 ?… moins ?… débats que ça sera !… Sorbonne !… Trois Magots !… les Annales !… et si Hitler avait gagné ?… Aragon passé S.S. ?… Triolette, Walkyrie de charme ?… ces conférences ! je ne vous dis que ça !… « Aux Annales » de l’an deux mille !… les grandes marquises communistes s’arracheront les strapontins pour pas louper le moindre « tantôt » ! une seule bouleversante envolée de leur super-formid Herriot d’alors !… dix derrières comme !… du super sensââ abbé Pierre !… 10 revolvers !…
Foin de l’avenir !… retournons à notre propre affaire !… que Gertrut encadre le Brottin ?… diable ! putain ! je veux !… qu’ils s’égorgent !… il faut ! si vous y voyez la tronche œil pendant, vous m’avertirez que je jouisse !… je vous parle d’Achille… qu’ils se dépiautent à vif !… tous les deux !… bien rouges écarlates !… épeluchés !… l’étal pour tous… oh mais avant qu’ils se foutent tels, écoutez un peu !… du drôle !… au temps de l’Hippodrome Place Clichy, Gertrut et l’Achille godaient pour la môme personne, une de ces croqueuses de francs-or ! minute ! une vraie rivale de Banque de France !… ceux qui se souviennent de ces temps, « France heureuse », se souviennent de Suzanne… l’artiste d’écran que c’était ! et ses peignoirs vaporeux sur fond « bleu lumière douce » ! « de Lune »… quelle sublime artiste, bien muette, pas « parlante »… le verbe qui tue !… la femme qui parle tourne débandante on a bien bandé que sur les « muets » !… d’où voyez les Salles ! le mal qu’ils ont de les remplir !… blas blas blas… terribles sédatifs !… tristes braguettes !… guichets mous !… sourires, peignoirs vaporeux, musiques tendres ! on y reviendra !… et clairs de Lune !… on peut dire comme idole Suzanne, môme à coups de flots de bulle, tam-tams, et scandales vous pouvez toujours essayer !… à la cheville !… moi qu’avais pas de temps à perdre, nom de Dieu non !… d’une « livraison » l’autre… je trouvais encore tout de même moyen de galoper plus loin que Bécon voir « tourner » Suzanne elle-même !… vous dire l’idole ! entre La Garenne et Nanterre… ils profitaient des éclaircies !… on profitait !… d’un remblai l’autre !… « l’embauche » sur place !… on faisait la foule… je faisais morpion de foule… d’une ondée l’autre, cent sous !… deux francs, un coup de sifflet ! tous aux abris !… la première goutte ! sous la passerelle ! sauver le matériel de la pluie !… et les robes à traîne tarlatane ! et les grands maquillages « vedette », carmin et huile, et poudre de plâtre !… beautés sensibles !… si on aidait !… « aux abris ! » pas que nous les costauds figurants ! les curieux aussi aidaient !… la foule !… au coup de sifflet ! la goutte de pluie ! tous ! et Suzanne !
Qu’est-ce que c’est devenu tout ça ?… je vous demande ?… les artistes, et la frime ?… à présent ?… et la foule ?… et la pluie… que de pluies !.,, moi de tous ces temps déjà si loin je peux dire une chose : Sérieux est mort !… moi là, l’encore « attentif sérieux », je vois bien… bonne mine ! pour rien !… ils ont, ils sont fiers, écrasé Bordels et « Foires à Neuneu »… bonne branle !… les jutures sont parties partout !… c’est partout Bordel à présent ! et « Foires à Neuneu » !… berceau à la tombe, tout jeanfoutres ! Sérieux est mort, Verdun l’a tué ! Amen !…
Je vais vous ennuyer peut-être… du plus drôle ?… plus piquant ? peut-être ?… vous connaissez mon souci ! affriolez-vous ! du temps encore avant Suzanne, j’ai connu l’Hippodrome à chevaux et à fauves ! la grande écurie ! et quelles foules !… des affluences telles que l’omnibus en pouvait plus !… qu’ils partaient plus de la Trinité ! l’écrasement des omnibus par les enthousiastes ! de ces spectacles ! hommes, lions et chevaux, infanterie de marine, Boxers, et prise de Pékin ! qui vous font une mentalité ! un sens artistique ! Je connais pas beaucoup d’écrivains, soi-disant de gauche ou de droite, « bénitiers », « cocos », conjurés des caves ou des Loges, qu’ont vu comme j’ai vu la prise de Pékin, Place Clichy ! et la charge à la baïonnette de nos petits marsouins ! l’assaut des remparts en bois, dans une de ces fumées de la poudre !… et broum !… au moins vingt canons !… à la fois !… le sergent Bobillot tout seul se battant contre cent Boxers !… et leur arrachant leur drapeau !… et plantant le nôtre, notre trois couleurs ! dans leur tas de cadavres ! en plein !…
Pékin à nous ! et la flotte en plus ! descendant d’en haut des cintres ! le « Courbet » en toile !… tout y était… je vous dis ! des spectacles d’une mentalité !
Oh. attendez !… encore plus terrible que Pékin !… « l’attaque de la diligence !… » par trois tribus de Peaux-Rouges montés !… à « dos nus » !… il faut connaître ! où vous trouveriez aujourd’hui deux cents Peaux-Rouges montant dos nus ?… plus Buffalo Bill en personne !… tirant l’œuf à la volée, en plein galop ! vous pouvez attendre !… pas les pitreries d’Hollywood !… pensez l’œuf à la volée !… Buffalo Bill et ses boys !… des vrais de vrais, crachant des flammes !… ah, puis enfin le pire que tout !… je vous oubliais… Louise Michel !… ils vous parlent de sensââ ! suspense ! qu’est-ce qu’ils ont ? rien !… là, Place Clichy vous parliez pas vous aviez qu’à voir et trembler ! regarder !… le clou du clou ! Louise Michel surgissant du noir ! blafarde ! blafarde ! tous les projecteurs braqués dessus !… une seconde !… « ouah ! ouah ! » qu’elle faisait… comme escaladant une chaise… ouah ! ouah !… la colère !… on refaisait le noir !… ma grand-mère avait vécu la Commune, rue Montorgueil, elle pouvait juger… « C’est pas Louise Michel, mon petit !… c’est pas ni son nez ni sa bouche » !… on trompait pas ma grand-mère…
Maintenant il est plus question, vous verrez pas Kroutchef, Picasso, Triolette se montrer escaladant une chaise… l’effet Desmoulins-Palais-Royal !… non ! les hurleurs blafards !… apparaître « ouah ! ouah ! »… Thorez peut-être ? Mauriac ?…
Une chose sûre, certaine, nez, pas nez, Louise avait parfaitement le droit ! « ouah ! ouah ! »… et colère !… et comment !… je le dis ! je dirai encore bien pire… plus tard !… que je réfléchisse…
« Je le connais depuis l’affaire Dreyfus !… il est de pire en pire chaque année !… chaque mois !… le plus éhonté forban des mille ! de toute l’Édition !… vous pouvez pas tomber plus bas !… lui et toute sa clique !… que vous êtes la grande rigolade, de tout son bazar !… suceuses et endosses !… la façon qu’ils vous arrangent, grugent !… cocu toutes les sauces et radieux !… qu’on vous sabote, pille, conchie !… un beurre !… une affaire !… lui et son Grand-Castrat Loukoum ! »
Pensez qu’il m’apprenait rien. Gertrut du Monocle, et bleu ciel !… salut !… j’y en aurais revendu, moi, du ragot, Gertrut Bérengères !… si j’en connaissais un petit bout comment l’Achille m’entiflait ! oh ! là là !… lui qu’avait surtout, je trouvais, un fameux temps de reste, Gertrut de Gertrut, et des rentes, d’aller repêcher des scandaleries que personne, sauf encore… lui-même ?… se souciait plus du tout !… des « pataquès-fiel » 1900 !
À la poubelle ! Gertrut ! l’Achille !… trifouil-leurs !… un seul souci moi !… du sérieux ! cash et salut ! ce que j’allais laisser à Lili ?… quid ?… com-ment ?… quès ?… le petit pécule ?… mais là ! tonnerre ! gafe !… le hic ! tout beau, le pécule !… moi parti ? le dernier soupir ? je voyais la ruée des « ayants droit » !… illico, la foule !… la bête morte vous voyez surgir, grouiller, foncer !… de ces mandibules !… « ayants droit »… tous ! avec papiers, sans papiers… cachets, tampons, cires ! sans !… de tous les métros, il en sort !… et crocodiles avec larmes !… sans larmes !… de ces dentures !… tous « ayants droit » ! Lili sera éjectée pronto !… à la rue ! je vois comme si j’y étais !… elle est pas capable de se défendre !… exactement la même histoire que rue Girardon… ou Saint-Malo… ou qu’à Copenhague, Ved Stranden 20, (tuve) voilà, la vraie secte « tous climats » !… « parfaite internationale » ! les « ayants droit »… et « foire d’empoigne »… les mêmes, du kif, où que ce soit ! n’importe quel régime, philosophie, secte, couleur !… n’importe quel prétexte !… ils foncent, pullulent ! vous les avez !… ils vous bouffent tout !… c’est pas Lili qui va se défendre !… non !… au contraire même… je dirais… c’est triste… triste romantique… la danseuse…
Aucune illusion !… soucis personnels… vous me direz… quand même ! quand même ! que ce soit Gertrut ou Brottin, ou un autre, personne m’avancera plus une flèche pour une histoire genre Normance ! je le dis !… le lecteur veut rire et c’est tout !… jamais Paris ne fut bombardé !… d’abord !… et d’un !… aucune plaque commémorative !… la preuve !… moi seul, qui me souviens encore de deux, trois familles ensevelies !… Normance, question livre, a été qu’un affreux four !… parce que ceci !… parce que cela !… en plus de saboté comme !… par Achille, sa clique, ses critiques, ses haineux « aux ordres », canards enragés !… les gens s’attendaient que je provoque, que je bouffe encore du Palestin, que je refonce au gniouf ! et pour le compte !… des « bienfaiteurs », ça s’appelle !… les « hardi-petit » ! un de ces sapements ! joli Monsieur ! vingt ans !… « à vie » !… oh, mais gour-rance ! bévue ! maldonne ! moi, qu’attends ferme, tout au contraire, qu’on les écroue tous !… flirteurs voyous des échafauds, traves et « recluses » ! qu’on rouvre la belle Guyane pour eux ! réarme l’Île du Diable !… plus, prime, chacun quelque chose à la langue… petits épithéliomes, tout choix ! entre carotides et pharynx…
Bon !… mais en attendant, Brottin m’avertit : zéro !… « Vous vous vendez de moins en moins !… Votre Normance ? une catastrophe !… rien possible à vous refoutre au trou !… ni pornographe ! ni fâchiste ! misère de vous !… les critiques pourtant, les crocs hors ! prêts ! venins ! tout !… se la mordent !… vous les écœurez !… leur bœuf alors ?… sans cœur !… leurs enveloppes ?… leurs familles ?… »
« Écrivez plus rien !… » vous me direz… que je vous écoute !… que vous avez bien raison !… mais Lili, les chiens, les chats, les oiseaux, et les « perce-neige » ?… avec l’hiver qu’on a eu !… vous avez peut-être une idée ?…
Même je vous assure : au plus mesquin… rognant sur tout… une de ces luttes contre les éléments, les choses, vents, courants d’air, humidité, carbi !… choux-fleurs, harengs saurs ! la lutte que vous existez plus !… et les carottes !… même les croûtons de pain !
Question mon style et mes chefs-d’œuvre ?… cabale, boycott !… certes ! je dis !… tous les plagiaires à la lanterne ! pas que les plagiaires, les « pas faits pour » ! Dieu sait !… rien que chez Achille, floppée ! mille ! mille !… pour moi Dumel, Mauriac, Tartre, même corde !… la dizaine de Goncourt, l’autre arbre !… oh ! plus l’Archevêque de Paris, j’oubliais ! avant que les Chinois se formalisent !… pas d’histoires !… qu’on leur offre la tête porte Brancion !
À propos de gaz et de plaisanteries, demain la note !… je dois deux « relevés »… je dois aussi au Percepteur… je dois au charbon… je rabâche ?… eh bigre !… dans le même cas, les mêmes draps, vous hurleriez d’ici Enghien !… qu’ils seraient forcés de venir vous prendre, bromurer, capitonner ! nous deux Lili ça nous fait bien quinze ans à courre !… la meute après !… quinze ans c’est un bail !… la toute féroce teutonnerie a duré trois ans, tout au plus !… considérez !
Je vois que je vous ennuie… autre chose !… autre chose !… tous les bourgeois à la lanterne ?… bourgeois de tous les Partis !… absolument total d’accord ! bourgeois est fripouille cent pour cent ! j’en vois un tout particulier, le Tartre ! gratin de cloaque ! la façon qu’il m’a diffamé, remué ciel terre qu’on m’écartèle, je lui donne droit à cinq… six néos entre œsophage et pancréas !… priorité !…
Tartre m’a bien volé, diffamé… oh ! que oui !… mais pas pire que les parents !… et il est pas drôle comme ma tante !… de loin !… le choc, la syncope de ma tante en me revoyant !… que j’étais pas mort !… qu’ils m’avaient pas exécuté !… « Toi ? toi ? »… elle doutait… « toi là ? »…
Elle s’était servie, vous pensez !… main basse sur trois paires de rideaux, six chaises, et toutes les casseroles émail… pas qu’elle ait eu besoin de rien !… mordieu !… elle avait tout en double !… en triple !… mais puisque tout le monde se servait, que j’étais son neveu, pourquoi elle se serait pas servie, elle ? qu’elle ait rien ?… que c’était le sac de mon bazar !… des inconnus !… et elle, ma tante ?… rien ? d’abord je devais jamais revenir… je devais crever en prison… pendu ?… empalé ?… c’était entendu, elle m’héritait !…, bien naturel !… Tartre aussi m’a hérité ! et floppée d’autres !… « Bonjour, ma tante ! »… elle saute de son lit ! et en chemise me voir ! moi ! « Il a assassiné sa mère !… arrêtez-le ! arrêtez-le !… » ce qu’elle trouve ! le cri du cœur ! l’émotion si forte qu’elle a couru toujours hurlante me dénonçant ! « Monsieur le Préfet ! au secours ! au secours ! arrêtez-le ! il a assassiné sa mère ! Monsieur le Préfet !… » comme ça tout le Faubourg Saint-Jacques, puis les quais… « au secours !… au secours !… » les flics l’ont coiffée à la course, sonnée au Poste !… un autre bureau !… relâchée !… rassom-mée ! « C’est lui ! c’est lui !… » elle a remis ça !… en pleine nuit, Quai des Orfèvres !… exprès… que le Préfet s’en mêle !… me refoute au gniouf !… que j’y redemande jamais une chaise !… la tante !… comme ça les parents, les amis !… la horde qu’ils sont, vous hors-la-loi !… quand ma tante a hurlé à travers les Halles, tout le reste de la nuit, que j’étais l’assassin de ma mère, cavalant d’un pavillon l’autre, elle est tombée dans les poireaux !… là alors ils l’ont ligotée ficelée… tout de même à l’Hostau… elle hurlait toujours que j’étais ci ! que j’étais ça !… n’importe quoi…
Du moment qu’on vous a tout secoué !… vos meubles, manuscrits, bibelots, rideaux, vous pouvez vous attendre à tout !… surtout des parents, des amis… les plus vicieux bienfaiteurs !… plus roués que potences !… la passion qu’ils ont à vos trousses !… la bête d’hallali ! ma paire de rideaux, mes quatre chaises… ma tante passée dingue !… Tartre : coco !… tous épileptiques que seulement je les regarde !… j’ai dit : Tantine manquait de rien ! le Tartre non plus !… cossus ! cossus !… de tout en double ! triple… à la ville !… à la campagne !… frigidaires, autos, laquais !… le cor avait sonné pour moi, ils avaient pris part à la chasse !… c’est tout ! surpris de quoi j’étais ?… con !
Que je vous perde pas dans les vétilles !… j’en étais à Gertrut Morny… ce vif intérêt qu’il me portait !… Tartuffe !… que je plaque l’Achille, saboteur conjuré dessous de tout, pour les Éditions Bérengères !… que je me perdais chez Achille !… que c’était sa joie, lui, Loukoum et toute sa tribu, de me réduire à rien ! au profond de leur cave !… moi, mes ours !…
Mais lui, ce Gertrut ?… je vous ai raconté sa figure… pas de la vieille chaisière comme Achille ! non ! lui, de la tête plutôt mousquetaire, barbiche mousquetaire, en plus du gros monocle bleu ciel… bien sûr, il me bourrait, promettait la Lune !… de ces « tirages » ! de ces « refaveurs » du Public ! oh ! sûr, je pouvais pas perdre beaucoup ! trouver plus ladre que Brottin !… depuis 80 ans et mèche que les auteurs se relayaient, y tentaient tout sur le crapaud, jamais il avait dégueulé : pas un signe !… la lutte aux « avances » !… l’Hercule résistant, Achille ! seulement un petit truc, vous pouviez peut-être moyenner… lui voir sortir dix sacs… vingt sacs… à l’offensive ! « Salut, Achille ! marre de votre gueule… » Il vous court après !… avec son plus gentil sourire !… une de ces haines !… eh ! merde ! eh ! tant mieux !…
Je vous ai assez dit je suppose combien je me méfiais du Gertrut… mais où il était savoureux, vous vous ennuyiez pas une minute, c’est quand vous le mettiez sur Achille… de ces anecdotes ! de trente ! quarante ans… Les ignominies de cet être !… bien la preuve ce que je pouvais m’attendre ! les manières qu’il trichait à tout !… partout !… aux cartes, aux courses, à Enghien, en Bourse… qu’il pouvait pas s’empêcher !… qu’il faisait crever ses auteurs, ses employés, ses boniches, qu’il s’arrangeait leur prêter soi-disant de l’argent… qu’ils voyaient jamais !… trictracs d’à-valoir et contrats !… les faisait signer qu’il était quitte… et qu’ils lui devaient de la reconnaissance !… combien s’étaient suicidés, retrouvés au barrage de Suresnes ?… parmi même, des géants de la plume ! et des demoiselles qu’ont eu des noms, qu’auraient 130 ans aujourd’hui !
Assez de babillages !… voilà juste le releveur de l’eau !… le kilo de nouilles et l’hareng « bouffi »… que je m’occupe d’eux !… Gertrut, haine pas haine, avait ces « absences », ces « m’agacez pas » des gens riches… il se rendait pas compte de la nouille… ils avaient les deux la même âme, la même muflerie… l’âme excédée, vous là, si sot !… à leur parler de nouilles !… oser !… à eux !… les gens riches peuvent être que « sportifs »… sportifs en Bourse, ou au Paddock… sportifs à faire monter leurs « Suez »… sportifs à se secouer les actrices, les faire monter par leur jockey… sportif à brûler les « feux-rouges »… sportifs à tout croulants bavants tout de même cavaler aux « Kermesses » !… et petits gides ! maintenant là, Gertrut, Brottin, c’était se kidnapper les auteurs !… mais un sport qu’ils se gardaient bien… oh ! l’horreur !… comme de chier au lit !… c’était de tâter eux-mêmes du truc !… maquereaux pas fous ! les auteurs meurent au labeur ? alors ?… les ânes aussi !… mais qu’est-ce qu’il pourrait faire, d’une page ? dites-moi ? Achille ?… quel sport ?… quelle malhonnêteté ? Gertrut ?… des cocottes ?…
Si seulement tenez, je pouvais compter sur la Critique… quelques échos… même injurieux… pas bien sûr tout le Cirque de Mauriac !… pissotières mutines et confessionnaux !… ou Trissotin Tartre… tous les rescapés de vingt ans de déconneries !… non ! quelques murmures me suffiraient…
Je peux me taper ? ah ?… il sera pas dit !
« À nous !… à nous !… »
J’avise !… napoléonien pour l’action ! j’avise ! Ariette, un bras !… Simon, l’autre !… et « en avant ! » !… Studio devant nous ?… à l’assaut ! nous y sommes !… haut les cœurs !…
Hélas !… alas ! cette caverne ? décombres, débris, roustissures d’au moins trois… quatre Expositions ! bric-à-brac funèbre… et sous ces voûtes ? la hauteur trois… quatre Notre-Dame… tout carton-pâte, stucs, géants baldaquins !… c’est là !… c’est l’endroit !… solennel moment !… nos voix !… tout est raté !… on recommence !… on réenregistre !… Simon d’abord !… je dois dire, je suis ému… ces voûtes, si tant tocardes, résonnent !… si c’est pas elles, un ampliphone ! moi si discret, je me sauverais, peur de ma voix si horrible !… l’effet !… j’aurais jamais cru !…
Pas du tout, qu’ils trouvent !… je partirai pas sans chanter !… ils veulent, je vais pas me faire prier… coquet !… en avant une !… deux !… voûtes ou pas voûtes !… je demande au barnum qui est là, celui qui parle un peu français… si c’est l’idée de les mettre en vente ?… chansons, harmonies, et fausses notes ?… si je pourrais peut-être ?… un petit disque ?…
« Oh ! non ! Maître ! non ! plus tard !… bien plus tard, j’espère !… pour notre discothèque !… votre émission nécrologique ! »
Je vois ce qu’ils étaient venus me chercher !… plus tard ?… plus tard ?…, pas mon avis !… pour la prose… les textes… peut-être ?… mais pour les chansons, pardon ! telles quelles et tout de suite !… au vol un bout d’éternel !
J’allais pas expliquer ça là.
Je vais pas donner dans le macabre, loufiats, croquemorts, etc., non !… je vous parlais de la fosse commune… pas celle d’ici… plus loin… à Thiais !… plus loin encore… mais moi parti ?… Lili ?… les chats… les chiens… je vois pas du tout Lili se défendre… elle est pas faite pour… ce déferlement !… vous parlez !… une de ces ruées « d’ayants droit » !… amis, parents, escrocs, huissiers, voraces tout poil !… oh nous connaissons !… oui ! certes !… tous les pillages !… ici ! là !… ailleurs !… partout ! mais Lili seule ?…
« Il s’est foutu tout le monde à dos !… on l’a pas assez saccagé ce raciste indigne !… dépeçons sa veuve !… »
Je regimbe un petit peu ?… pas du tout !… mes idées racistes sont pour rien ! Tartuffes !… belle qu’elle existe plus la race blanche !… regardez Ben Youssef !… Mauriac ! Monnerville ! Jacob !… demain Coty !… pas de quoi fouetter un chat !… c’est le Voyage qui m’a fait tout le tort… mes pires haineux acharnés sont venus du Voyage… Personne m’a pardonné le Voyage… depuis le Voyage mon compte est bon !… encore je me serais appelé Vlazine… Vlazine Progrorof… je serais né à Tarno-pol-sur-Don… mais Courbevoie Seine !… Tarnopol-sur-Don j’aurais le Nobel depuis belle !… mais moi d’ici, même pas séphardim !… on ne sait où me foutre !… m’effacer mieux !… honte de honte !… quelle oubliette ? quels rats supplier ? La Vrounze aux Vrounzais !…
Naturalisé mongol… ou fellagah comme Mauriac, je roulerais auto tout me serait permis, en tout et pour tout… j’aurais la vieillesse assurée… mignotée, chouchoutée, je vous jure !… quel train de maison ! je pontifierais d’haut de ma colline… je donnerais d’énormes leçons de Vertu, de jusqu’au-boutisme tonnerre de Dieu ! la mystique !… je me ferais tout le temps téléviser, on verrait mon icône partout !… l’adulation de toutes les Sorbonnes !… la vieillesse ivresse ! je serais né à Tarnopol-sur-Don, je ferais moyenne deux cents sacs par mois rien que du Voyagski ! Altman viendra pas me réfuter ! ni Triolette, ni Larengon !…
Que je cause… que je m’y mette… on verra !
Mais n’est-ce pas Courbevoie-sur-Seine, on me passe rien, on me passera jamais rien !… le seul résistant de l’endroit ! oh ! merde ! oh ! terreur !… la preuve ?… la preuve ? vous me trouverez pas dans le Dictionnaire… ni aux médecins-écrivains… ni chez la mercière… nulle part !… de même dans l’« Illustris-Brottin »… la « Revue Ponctuelle d’Emmerderie ! »… non ! et non !.. Norbert Loukoum aurait voulu m’y faire passer mais tout à l’envers !… son idée !… le texte, les mots, les pages, tout sens dessus dessous !… j’ai résisté ! je l’ai traité de fiote, enculdosse, et plus ! qu’il avait la bouche incestueuse, etc… tout sadiste-mords-moi… on s’est séparé sur ces mots !… « ma ” Revue Crottière ” vous est fermée ! »… ce que j’attendais ! ah ! l’Emmerderie !… à d’autres ! d’autres façons d’attraper les nouilles !… d’autres cordes à mon arc ! Hippocrate à moi !… certes, les malades se font rares… je vous l’ai dit… mais on peut jamais se flatter de n’avoir plus aucun malade… chiropractes, guérisseurs, bonnes sœurs, masseurs, en laissent tout de même s’échapper… oh ! pas de quoi payer ma « patente »… ni la dîme à l’Ordre, ni mon assurance-décès… ni régler le plombier… ni me payer la Presse-Médicale… vous dire l’économie que nous sommes ! là !… là ! même les plus économiquement faibles sont des espèces de gaspilleurs si je me compare…
Mais depuis le drôle de bolchevisme que vous pouvez plus dire un mot !… Picasso ci !… Boussac par là ! Tartre re-coco !… milliards partout ! damnés par là !… vous n’existez plus ! le plus de bide, popotin… bajoues, le plus damné de la Terre ? vous marrez ? ils vous coupent la tête…
Je me méfie de tout ! je ris pas !… nos chiens reniflent, et « ouah ! ouah ! »… éloignent !… Bécart me disait, à propos peut-être deux jours avant de mourir : « tu es entêté Ferdinand !… les chiens sont carnivores, voyons !… l’invitation à la valse !… »
Je reviens à nos difficultés… tout résumé, tel quel, sans flan, le dernier manœuvre d’en bas, dans l’île, de chez Renault, travaille moins que moi, mange plus que moi, dort plus que moi… et soixante-trois ans dans deux jours… je spécifie… quant à la considération !… c’est pas à croire le mal que j’ai de pas être haché, sec ! « ordure ! stalinien !… naziste ! pornographe ! charlatan ! fléau !… » pas murmurées ces bonnes choses !… noir sur blanc !… plein les panonceaux !… là encore un tort capital : je suis gratuit !… si ma gratuité me fait haïr !… y a que les ordures qui sont gratuites ! « ah ! il voudrait se faire pardonner ! perfide pire que tout ! vérole ! »
Je réfléchis… le côté amusant… la dégringolade !… mon cher vieux maître Etienne Bordas m’écrivait encore l’autre jour… « Vous, un esprit si distingué ! tel sujet d’élite !… mon meilleur élève !… »
Zut !… heureusement qu’il est parti ! Étienne Bordas ! « tel sujet d’élite ! » ah ! pas l’avis du Bas Meudon !… du Haut non plus !… il aurait vu les affiches ! « traître, médecin marron, pro-Staline, pornographe, ivrogne… » mais peut-être encore le pire de tout ce qui me fait tort : « Vous savez, il a pas d’auto ! »
Le boucher, l’épicier, l’ébéniste, vont pas à leurs affaires à pied ! médecin à pied ?… vous méritez tout ce qu’on dit de vous !… pas d’auto ? l’effronterie de cette cloche !… charlatan dangereux bon à pendre !… le pavé, le trottoir aux voyous !… aux filles !… aller voir un malade à pied ?… vous l’insultez ! le malade vous chasse !… plaignez-vous !
Tenez, Versailles n’est pas loin… imaginez-vous le moindre médecin s’y rendant à pied ?… Fagon à pied ?… or le malade conscient de ses droits, assuré social, syndiqué, lecteur de trois, quatre, cinq journaux, cousin de deux, trois cents milliardaires, est autrement plus sûr de lui que le Roi Louis !… 14 !… i5 !… 16 !…
En plus… mon comble !… le fond de tout !… les commissions !… on me voit avec mes deux filets !… un pour les os… l’autre pour les légumes… les carottes, surtout !
Vu mon âge, mon petit tremblement, je pourrais peut-être à la rigueur, mes cheveux blancs, passer pour « Professeur Quelque chose »… Nimbus, je ferais rire… on m’aiderait ! mais les affiches ?… sérieux ! inexpiable !… et ma naissance à Courbevoie !… je m’en sens tout aventurier… plus bas, bien plus bas que chiropract !… entre herboriste et les « capotes »… plus bas que Bovary !… coolie !… coolie de l’Ouest !… l’avenir ! je porte les paquets : toutes les caisses, les filets, les sacs !… et les poubelles !… je porte les crimes… je porte les impôts… je porte la médaille militaire… je porte mes 75 %… je suis complet…
C’est pas Loukoum qui va m’aider !… je discute pas !… l’impression c’est tout !…
Et puis pas que l’âge et les affiches !… l’état aussi de notre maison… « Drôle-qu’elle tient »… que je vais moi-même ouvrir la grille !… déverrouille !… la reverrouille !… je m’achève ainsi dire !… pas de bonne ! j’avoue ! et située comme !… je vous l’ai pas dit ?… à mi-côte !… vraiment l’endroit impossible ! par quel sentier !… gadoue !… pauvres malades ! l’hiver !… à grimper, bourber, se rompre le col !… et moi je vais me plaindre !… bien sûr, ils montent pas !… ils monteront jamais !… ils suivent la berge jusqu’à Issy, toutes leurs commissions… boulanger, boucher, la poste, pharmacien, les nouilles, le coiffeur, le vin… et le « Grand Rio », 1’200places… triple écran !… et combien de médecins, porte à porte ? qu’est-ce que je peux foutre moi, mi-côte ? les malades d’en haut restent en haut, pas si cons ! les quelques « chroniques » qui se risquent c’est les discussions du zinc, si je suis vraiment si ignoble que ce qu’on a raconté ? si c’est vrai, le genre « Petiot » chez moi ?… si ils verront des bouts de victimes ?… fours à supplicier les malades ?… etc… etc…
La pluie qui m’envoie des clients !… ça arrive !… pas beaucoup ! quelques-uns… qui montant au vrai Meudon, canent à mi-côte… oh ! l’hiver seulement !… ils ont tort, ils viendraient l’été ils jouiraient de la situation… du point de vue unique !… et de la ramure et des oiseaux !… pas que des clebs !… oiseaux si ça chante ! et ce qu’on découvre !… jusqu’à Taverny l’autre côté ! l’extrême du département !… de chez moi de mon jardin, du sentier… je dis le jardin, oui !… positif petit Eden, trois mois sur douze !… quels arbres !… et aubépines et clématites… vous diriez pas à peine une lieue du Pont d’Auteuil ! l’enclos de verdure, l’extrême bouquet des bois d’Yveline… tout de suite c’est Renault !… sous nous ! vous pouvez pas vous tromper… où y a la broussaille plus touffue c’est là !… c’est nous ! d’abord les chiens seront sur vous, la meute !… vous laissez pas intimider !… faites semblant de pas les entendre… regardez ce panorama ! les collines, Longchamp, les Tribunes, Suresnes, les boucles de la Seine… deux… trois boucles… au pont, tout contre, l’île à Renault, le dernier bouquet de pins, à la pointe…
Bien sûr c’était bien plus campagne quand nous venions avec mon père livrer la guipure, l’éventail… les mêmes sentiers vers 1900… oh ! beaucoup de clientes à Meudon !… « ça lui fera prendre l’air ! » on profitait !… je profitais !… nous asphyxiions Passage Choiseul… trois cents becs de gaz !… l’élevage des enfants au gaz !… nous nous lancions après le « Bureau », mon père au pas de gymnastique de sa « Coccinelle Incendie » ! et en route !… l’omnibus, « l’impériale », avec les paquets ! nous n’étions jamais au Passage, retour, avant les 9,10 heures du soir… question des sentiers, Meudon a pas changé du tout… rubans, lacis mélimélos, grimpettes… retrouver des clientes là-dedans !… vous imaginez !… des dames extrêmement tatillonnes !… et leurs demoiselles… « c’était pas bien ! c’était trop cher ! » etc… tout pour qu’on remporte la facture, mais laisse l’objet ! la petite réparation : 10 francs !… pas payer ! c’est ça, les clientes… que sont devenues ces familles ?… les maisons existent toujours, les mêmes, à peu près… et les mêmes sentiers… pas très indiqués, à la nuit !… pour moi ça va ! je sors jamais sans chiens ! pas un !… trois… quatre… et hargneux !…
— Vos malades alors ?…
— Pas commodes !… pas plus faciles à contenter que les dames « copurchic » 1900 !… râleuses, tricheuses, voleuses clientes !… à écœurer un Saint Vincent !… je crois que je suis comme je suis, si total haineux de tout trafic de sous, communisse au sang, 1 000 pour 1 000, avec malades ou bien portants, c’est les clientes de ma mère qui m’ont écœuré !… pétasses et comtesses 1900… toutim !…
Toutefois, comme la nature humaine change en rien de rien, jamais ! gamètes immuables, la dame « tourneuse » ménopausique assurée sociale vous fait de ces caprices et colères pires que la Maintenon !… jamais pour mon compte, je me suis trouvé viré, si brutal traité, « d’au-dessous de tout », et chassé, et à coups de balai que par une assurée « tourneuse » dont je voulais ménager les nerfs… je lui parlais pas d’opération… pas encore !… fibrome ?… cancer ?… je voulais pas la mettre au courant… ah ! ma foutue délicatesse !… mon tact !… si la tourneuse s’est soulagée !… tombereaux d’insultes !… les voisins ont tout entendu… deux, trois sont sortis de chez eux… je les connaissais de vue… « oh, faites pas attention, Docteur !… elle est nerveuse !… » moi je crois surtout que c’était l’auto… j’aurais eu une auto comme ça… capot comme ça ! elle aurait rien dit !… et que j’en changerais tous les ans ? je pourrais tout me permettre !… de plus en plus grosse… le monde est pas communisse !… diantre ! mais matérialisse… un point !… effroyablement ! à l’atome !…
Roulez auto, Suez pas Suez, vous existerez !… pour Versailles, c’était des carrosses, maintenant c’est le nombre de vos H.P… Versailles, Kremlin ou Maison Blanche… vous êtes quelqu’un ?… vous êtes pas ?… Professeur, Commissaire… Ministre… combien d’H.P. ?… vous avez réussi ?… oui ?… merde ?… fibrome ?… bast !… foutre !… cancer ?… la carrosserie que vous êtes ?… vos suspensions ?… Versailles… Windsor… Maison Blanche… Le Caire…
Je voudrais voir un peu Louis XIV avec un « assuré social » !… il verrait si l’État c’est lui !… pensez les milliards que représente le moindre cotisant ! ah ! Louis peigne-chose !… pensez, Louis-Soleil, la trouille rien que pour changer de chirurgien ! il vivait plus !… l’étiquette !… votre « assuré » si il se gratte pour vous foutre en l’air ! vous traiter pourriture poisson !… vos conseils ?… ah ! là làl vieux pitre !… « vacances » qu’on vous demande ! et signez !… tampon et salut ! vieux parasite ! « huit jours, comprenez !… un mois !… et merde ! satané clown ! votre cachet !… vos ordonnances ?… à rire !… à rire !… déjà des pleins tiroirs et chiottes d’ordonnances ! et autre chose que vous ! des plus grands maîtres et Professeurs et Chiropractes de Neuilly, Saint-James et Monceau ! quels salons !… de ces tapis ? des pelouses !… dix infirmières !… vingt dictaphones !… eh bien ! eux-mêmes ! ces demi-dieux, ce qu’ils ont prescrit, on s’en torche ! alors vous ?… votre tampon !… vite ! regardez pas !… signez !… salut ! »
Je devrais pas le dire, mais c’est trop drôle, la plupart des malades que je vois, dépensent beaucoup plus en perlo que nous pour entièrement vivre… nous, c’est-à-dire Lili, moi, les clebs et les greffes…
Une de mes plus dures ivrognes me brandit sa bouteille juste au-dessus de la tête… Et puis sous le nez… Du gros rouge !… Elle me défie !… Je lui ai dit de ne pas boire… « Elle pourrait tuer sa petite-fille ! » Je la ferais interner, elle fouterait le camp, reviendrait me finir !… L’ivrognerie, c’est ça : « j’étais saoule, il me plaisait pas ! » Tout est dit. Ce que Tartre et tant d’autres se sont tant branlés, échignés, sué, sang et venin, retourné Ciel, Terre, Enfer, que quelqu’un se décide ! L’ivrognesse là, était fin prête !… les chien aussi étaient fin prêts… les chiennes, surtout, ça tenait qu’à moi que je dise un mot…
Moi, mon Dieu ! bouteille, asile : je voulais plus la voir c’était tout !… je lui conseillais un autre médecin… mais la seule qui voulait pas !… pas d’autre médecin que moi !… que moi ! elle m’engueulait pas, me tuer qu’elle voulait !… et que je m’occupe de ses verrues !… que je les lui brûle !… une fois sur deux, je lui refusais… elle revenait…
On doit faire attention à tout… mes chiens alors ?… qu’ils m’aient pas bouffé un malade !… deux malades !… je touche du bois !… le jardin est immense et en pente… si la meute dévale !… et hurlante !… de quoi faire fuir tous les malades… faire aussi râler les voisins… parce que si ils aboyent !… quelque chose !… plus je gueule plus ils rugissent… ils me répondent… pour les malades, vous pensez !… je monte toute la meute au grenier entre 2 et 4… ils hurlent là-haut… pire !
Mais réfléchissant, à tout prendre, ma meute me fait bien du tort, certes !… mais elle me protège des malotrus… je me méfie des gens qui passent… les inconnus… et les connus ! ils entendent les chiens aboyer… ils guettaient, ils font demi-tour !… les assassins aiment pas les risques… ils sont plus prudents à vous tuer qu’un bourgeois à acheter des « Suez »… je connais un peu les assassins… j’en ai fréquenté ici, là, un peu partout, pas qu’en cellule… dans la vie… cinq… six wouaf !… wouaf ! y en a plus !… je pratique pas dans la confiance, j’ai la confiance en rien du tout ! quand j’étais au pavillon K, Vesterfansel, c’était autre chose comme gueuleries !… pas que les détenus du pip-cell… toutes les meutes lâchées, jusqu’au jour !… combien de molosses ? cent ?… deux cents ?… elle était gardée la prison !… intra muros ! extra muros ! deux ans… pendant deux ans… je dormais pas, je pouvais les entendre… le directeur de la prison avait pas confiance… pourquoi moi, j’aurais ? la prison n’est-ce pas c’est l’école, vous y avez été ? pas été ?… les vraies leçons !… ceux qu’ont pas été, même nonagénaires, et mèche, sont que des sales puceaux bavardeux cabotins, gratuits… ils causent et savent pas !… vous les entendez installer… qu’est-ce qu’ils pensent, au fond du fond ?… « Pourvu, bordel ! que jusqu’au bout, mon flan tienne ! pourvu jusqu’au bout, que je tombe pas !… » la trouille, le gniouf ! leur hantise !… Mauriac, Achille, Gœbbels, Tartre !… ça que vous les voyez si nerveux, si alcooliques, d’un cocktail l’autre, d’une confession l’autre, d’un train l’autre, d’un mensonge l’autre ! d’une Cellule l’autre… d’une déconnerie l’autre !… qu’ils réchappent au « Mandat », menottes, à la Santé !… si ils palpitent ! la minute sérieuse de leur vie !… la seule !… finish blabla !
Pourquoi moi, dites, j’aurais confiance ? Je me méfie pas de Mme Niçois… c’est peut-être un tort ? entre autres malades… de Mme Niçois, non !… aucun danger… vraiment l’inoffensive personne… mais les gestes !… quels gestes !… elle fait plus de gestes que mon ivrogne… elle me menace pas, non !… elle me brandit pas de flacon sous le nez… mais elle s’agite pour se rattraper… à la grille !… à tout !… à un fusain… à n’importe quoi… elle oscille… « Elle sait plus… elle est absente pour ainsi dire… de plus en plus faible… elle se souvient plus de mon sentier… elle se trompe… oh ! mes chiens la gênent pas elle… elle les entend pas !… elle y voit pas beaucoup non plus… vous dire son état !… eh bien !… croyez-moi, ce qui la gêne, c’est que je la fais pas payer…
Je vous dis donc Mme Niçois se perd dans les sentiers… du Bas Meudon à chez moi… elle est partie vers Saint-CIoud, des voisins l’ont rattrapée… partie presque au Pont !… ils se demandaient où elle allait ? elle demeure Place ex-Faidherbe parallèle à la route d’en bas, Vaugirard prolongée… de chez elle on voit très bien l’eau, la Seine… le quai tout de suite !… à propos, pas loin, cent mètres, après la route des Virofles, l’ancien célèbre restaurant : Pêche Miraculeuse… presque souvenir l’état qu’il est !… tout de même encore ses balcons, où « Tout Paris » venait festiver, au frais du fleuve, à la brise… l’île devant, plus d’arbres !… tournée usine !… au loin tout de même, le Sacré-Cœur, et l’Arc de Triomphe, et la Tour Eiffel, le Mont Valérien !… mais les soupeurs sont pas revenus… effacés !…
Oh ! le trafic du fleuve demeure… tout le mouvement !… remorqueurs et leurs ribambelles, haut-bords, ras de l’eau, charbons, sables, décombres… queue leu leu… aval… amont… de chez Mme Niçois vous pouvez voir tout… elle est pas intéressée… cela dépend évidemment la sensibilité que vous êtes ?… les mouvements des fleuves touchent… touchent pas !… les façons des convois aux arches… cache-cache… là, de chez Mme Niçois, de sa fenêtre, vous les voyiez s’engager… presque de l’île des Cygnes !… et de l’autre côté… passé Saint-Cloud… pensez ce bief ! du pont Mirabeau à Sures-nés !… la vue des dîneurs !…
Ils étaient plus sensibles que nous, pas encore effrénés négrites… j’ai qu’à voir Achille et Gertrut… oh ! ils m’écœurent énormément… tout de même vous leur trouvez encore, dessous leurs rides plis et fanons, au tronc, à la fibre, des sortes d’espèces de finesses…
Le temps de la « Pêche Miraculeuse » c’était le moment de la vogue des yoles et des grands tricots à rayures, des rameurs à dardantes moustaches… je vois mon père, en dardantes moustaches !… je vois l’Achille en yole, calot, tricot, biscotos !… je vois tous les dabes… clientes gloussantes pour embarquer !… le tour de « l’île aux pigeons » !… putt ! putt ! le Tir ! mille petits cris, froufrous, frayeurs !… bas de soie, fleurs, fritures, monocles, duels !… la « Pèche », les balcons, là, maintenant à foutre à la Seine !… vermoulue « la Pêche »…
Je m’en souviens comme si j’y étais du « tir aux pigeons »… de ses peupliers ! les cimes au vent ! pensez, j’ai pris assez de gifles, que j’étais pas sage, sur le bateau-mouche « Pont-Royal-Suresnes !… » le vrai bateau-mouche ! pas les simili d’à présent !… tout le bateau-mouche était que gifles… c’était l’éducation d’alors !… beignes, coups de pied au cul… maintenant c’est énorme évolué… l’enfant est « complexe et mimi »…
Oui, les fins dîneurs de l’époque avaient toute la vue… pas seulement le Mont Valérien, et de l’autre côté le Sacré-Cœur, toute la vallée, la Seine, les boucles… ce que j’ai aussi, moi de ma fenêtre, d’où je vous écris, j’ai pas à me plaindre… ah ! aussi Longchamp, les tribunes… en face…
Tenez, j’entends parler les vieux… ils parlent comme si ils y avaient été !… Salut !… menteurs !… ils y étaient pas !… moi ?… sabre au clair !… la dernière revue du 14 Juillet !… tous les effectifs de la Place !… plus les 11e et 12e Cuir !… à la charge !… pour la dernière charge on peut le dire !… après, y a plus eu que des promenades, des répétitions pour Sacha… plus d’armée !… pas plus que de « Pêche Miraculeuse »… ni de véritables bateaux-mouches ni d’enfants qui respectent leurs pères…
Je m’attarde… je vous agace peut-être ?… je vous parlais de Mme Niçois, que j’allais descendre jusque chez elle… je vous parle de vermoulue la « Pêche »… mais chez elle !… miracle que ça tienne ! un après-midi de « bulldozer » !… escalier, toit, fenêtres ! oh ! ma tôle, moi ! je peux causer ! tout ça est d’avant 70 !… et bien d’avant !… le probloc veut rien réparer !… il attend que Mme Niçois claque et qu’il vendra tout !… pas d’autres motifs de « congé »… elle paye ses termes recta au jour !… entendu, le probloc est fumier, abominable escroc, tout, mais la quittance est la quittance !
Je dois dire égoïstement que ça m’arrangeait pas du tout de descendre chez Mme Niçois… et les chiennes ?… je les enfermais au grenier, bouclais !… ouiche ! je les voyais cassant les carreaux et se jetant sur Mme Niçois !… oui du « troisième » !… oui ! parfaitement !… elles en piquaient crises et folies de me la déchirer !… Mme Niçois faisait trop de gestes… à se rattraper partout… à tout… à rien… tout de suite à l’air… elle titubait… tournoyait !… elle avait de la feuille au vent… elle devait plus sortir de chez elle !… je lui avais assez répété ! dit… je lui donnais le bras pour la reconduire !…
Les « calmants » aussi l’hébétaient… bien sûr !… j’aime pas les drogues, mais il en faut… un cas sur cent… Mme Niçois était tel cas… son mal évoluait très lentement… une forme des vieillards… en plus, une forme pas nette du tout… envahissante, certes… et saignante… oh ! des précautions à traiter ! à accompagner, ainsi dire… gaze par gaze… pansements de finesses !… et le moins possible de morphine… cependant de jamais aller mieux et de saigner tout de même un petit peu… « Docteur ! Docteur ! enlevez-moi ça !… Oh ! Madame Niçois, non !… voyons !… » la subtilité, le tact des soins du cancer des vieillards c’est peu prou impossible croyable… j’ai vu, je connais, hélas ! les subtilités d’Ambassades, grotesques balourdises à côté de ce qu’il vous faut vous, pour que votre vieillarde néomateuse vous envoie pas foutre !… vous et vos onguents !… vos espoirs et colin-tampon ! thermocautères !… au Diable !… aux roses !… là, la question de Mme Niçois c’était qu’elle bouge plus, reste chez elle, monte plus me voir… son état s’améliorerait pas… elle pouvait pas !… qu’un jour elle tombe, se relève plus ?… ça serait pas long !… Petiot ! Landru ! Bonnot ! Bougrat !… c’est déjà bien extraordinaire qu’on m’accuse pas de Dien-Pen-hu !… de la chute de Maubeuge 14-15 !… là, que j’aie achevé Mme Niçois ? pas un pli !… j’ai bien été accusé, par Tartre et cent périodiques renseignés, d’avoir vendu le Pas-de-Calais… l’habitude !… Mme Niçois maintenant en plus ? salut ! qu’elle défaille descendant le sentier ?… non !… je peux encore boquillonner… mais jusqu’à la Seine ?… non !… les gens d’en bas, certes, ont tout lu… toutes les affiches… qui me traitaient comme !… conséquence : « Tu vois ce vieux-là ?… etc. »
Ah ! pas que mes crimes !… y a aussi, et peut-être surtout, la façon que je suis habillé… je vais pas me faire faire un complet neuf pour la critique du Bas-Meudon !… ils me voient pas beau ?… si ils se voyaient comme je les vois ! ça serait atomique la façon qu’ils se feraient sauter !… bouffées de neutrons !… l’horreur de hideur !… têtes ! âmes ! culs !… oui !… oui !… mais Mme Niçois !…
Donc, je descends chez Mme Niçois… mais je me méfie, je le répète… les gens du quai me sont hostiles… quantités de raisons… patati… patata… la façon que je suis habillé… d’un !… les commentaires des affiches… deux !… ma gratuité, mon « pas de bonne », « pas de voiture », boîte à ordures, les commissions, etc. Vraiment je peux descendre qu’à la nuit… je descends par le « sentier des Bœufs » avec un chien… plutôt deux… le « sentier des Bœufs », passé sept heures c’est rare que vous rencontrez quelqu’un… d’en bas du « sentier des Bœufs » la place ex-Faidherbe, une minute… Mme Niçois… sa maison, juste l’avant-dernière, au second… je suis déjà venu… je case d’abord mon clebs… presque toujours j’emmène Agar… il m’attend, il ronfle… je m’aventurerais pas sans chien… il est pourri de défauts Agar, grogneur, hurleur… et comme emmêleur de sa chaîne !… vous l’avez partout !… il la rend serpent, sa chaîne !… vous l’avez devant… elle vous tortille entre les jambes !… il est derrière !… vous arrêtez pas d’hurler… « Agar ! Agar !… » vous faillez en fait de compagnie vous étendre, fracturer, cent fois… oui, mais une qualité d’Agar, il fait ami avec personne !… c’est pas le chien social… il s’occupe que de vous !… par exemple : chez Mme Niçois, pendant que je la soigne, il est sur le palier dehors, si quelqu’un rôde, je peux être tranquille… même quelqu’un sur le trottoir en face !.. il piquera une de ces fureurs !… comme il est avec ses défauts, c’est le vrai « chien de défense »… pas un « soi-disant »… la Frieda, la chienne à Lili, là-haut, est pire… elle me connaît à peine, elle veut sortir qu’avec Lili… je case donc mon clebs sur le palier, sur le tapis-brosse… allez pas croire que je crains quelque chose, j’ai peur de rien, mais je voudrais pas être abattu, amour-propre sportif, après quinze ans de chasse à courre, par un de ces petits hyènes boutonneux, cocaïnman à tremblote qui se verrait sa plaque à son nom : « Icy, Lydoirzeff abattit… » la gloire !… oh ! que j’aurais aucune surprise !… qu’il y en ait un !… deux !… trois à m’attendre !… en bas !… là… juste !… tout juste !… et Mme Niçois au courant !… de plus !… dans le coup ! avec son air abruti, et son cul néôme !… parfaitement ! que j’ai connu des malades pires, plus près de la fin qu’elle, se mêler de trucs et de stratagèmes encore joliment plus pervers !… du moment où je quittais de chez moi, malades pas malades, je pouvais m’attendre le bouquet !… si vous êtes on ne peut plus dévoué vous pouvez vous attendre au pire… surtout aux étages, montant, descendant… tenez moi mon escalier, rue Girardon, c’était un poil qu’on m’abatte… des assassins sont venus pour… ils me faisaient un Prague ! un Buda !… ils m’ont écrit… ils regrettent encore !… une bonne rafale !… je jérémiaderais plus… et pas de la vague petite menace… non !… non !… d’un stalinien tout ce qu’il y a de choc !… un dénommé Vaillant Etienne !… pas celui de la Chambre !… la Chambre intéresse plus personne ! l’Histoire est caprices ! lubies ! rages ! le premier coup : rigodon !… hurrah !… le second ?… sifflet ! crochet ! foireux ! regardez le coup de César… combien qu’ont réessayé depuis ? on sait plus tellement y en a ! de Louverture à Mollet passant par Christine ! autant que d’écrivains qui me copient !… César, Alexandre, c’est quelqu’un !… mais allez refaire !… connue pour ces Vaillant 1 !… 2 !…
Laissons le passé au Grévin !… À l’actuel ! à Mme Niçois !… nous sommes chez elle… je vous raconte… je regarde si ça va… si Agar est sage… il ronfle sur le tapis-brosse… ses oreilles remuent… remuent plus… j’ai plus confiance en Agar qu’en Mme Niçois… le moindre doute dans l’escalier ?… le moindre petit gémissement de porte ?… la révolution chez l’Agar ! « C’est mieux que je m’allonge, Docteur ?… Allongez-vous madame Niçois !… » J’ai apporté mes instruments, seringues… compresses… pinces… « Je saigne toujours Docteur ?… oh ! Madame !… oh ! non !… très très peu !… de moins en moins !… Et l’odeur, Docteur ?… de moins en moins, madame ! »
J’aurais tenez le Vaillant à soigner… Vaillant mon assassin mou… Tropmann ou Landru… ou le Tartre en personne… ou les centaines de mille bourriques qui m’ont pourchassé des années, d’une prison l’autre… si frétillants, émoustillés ! je varierais pas d’un iota… mon style, ma façon… je suis le samaritain en personne… samaritain des cloportes… je peux pas m’empêcher de les aider… l’abbé Pierre c’est plutôt Gapone, pope Gapone… nous verrons !… moi, c’est vu… je suis le Docteur « Tant mieux »… j’étais ainsi Vesterfangsel, à l’ambulance (lumière jours et nuits), préposé : « remonteur du moral »… Je verrais là, le Tartre à l’agonie, mettons… « bourrique ! que j’y dirais, cavale !… biche ! purulure de merde !… fonce ! défonce ! retrouve tout ton fiel ! te décourage mie !… t’es monstre con, mais t’es instruit !… » Tartre ou un autre !… évidemment le moral c’est tout !… au vrai, tout de même, positif, je voyais pas cette Mme Niçois me durer plus de mettons cinq… six semaines… au plus ! et elle voulait pas de l’hôpital… oh ! que là, non !… de moi qu’elle voulait !… moi seul !… mes soins !… certes, elle souffrait… mais pas atroce… cancer… mais de cette forme surtout toxique… heureusement !… oh ! heureusement… comme je vous en souhaite ! la forme des malades qui savent plus… si ahuris… débilités… quoi ?… quès ?… bavent, tremblotent, suent… Mme Niçois se plaignait un peu, mais pas d’une douleur très intense… vous voyez ce genre de malades tenter de se lever… de vous parler… de manger, même !… et puis pas pouvoir… renoncer à tout… de plus en plus faible… la mine de mort… Mme Niçois ça serait son cas… moi là, une chose que je voyais venir, j’en avais pour au moins deux mois à descendre lui faire ses pansements… plus question qu’elle sorte !… à moi, la promenade !… oh ! mais pas de jour !… j’ai dit… qu’à la nuit !… pas que j’aie eu tellement peur d’être tué !… non !… mais pas être vu ! et d’un ! d’abord !… qu’on me foute la paix !… qu’ils pensent ce qu’ils veulent derrière leurs vitres !… bon !… moi, pas les voir, tout ce que je demande.
Donc, Mme Niçois sur son lit… j’ai terminé mon pansement… je viens à lui parler de choses et d’autres… que les grands froids sont finis !… bientôt les lilas !… on a assez gelé !… bientôt les jonquilles !… le muguet… cet hiver fut exceptionnel, tous les records !… je ramasse mes cotons… elle me demande un rouleau… que je lui laisse… voilà !… ah ! et le pêcher de la route des Gardes ?… au fait ?… il a résisté au froid ?… je la renseigne… même, il a fleuri !… celui qui pousse en plein dans le mur, entre deux granits !… celui-là, c’est vraiment le Printemps !… elle savait pas !… je sais très bien redonner la confiance… le tonus !… je voyais en tôle des reclus grévistes de la faim, condamnés à mort, je les faisais remanger !… gentiment… d’une petite drôlerie l’autre…
Tout en bavardant, je rangeais mon petit matériel… oh ! mais j’oubliais !… la piqûre !… il la lui fallait… 2 c.c. de morphine ! elle s’endormirait… je m’en irais… j’injecte mes 2 c.c… et je regarde dehors… au carreau, là !… j’accuse les autres d’être des voyeurs… en fait !… en fait !… qu’est-ce que je tiens !… le mateur fini !… j’aime pas être regardé du tout !… mais moi, pardon ! horrible ! j’avoue !… n’importe où je me trouve… là, c’était fatal, les lumières dehors !… je regarde… le loin… la Seine… Mme Niçois va s’endormir… elle me répond plus… cette fenêtre donne je vous ai dit presque sur la place ex-Faidherbe… le quai, en somme… il fait encore assez froid… nous sommes en mars… il fait nuit… on voit le quai… je le vois, moi !… sûrement Mme Niçois le voit pas… d’abord elle dort… je vois même des allées et venues de personnes… des gens qui chargent une péniche ?… je vais lui demander…
Mme Niçois… je vais la réveiller un petit peu…
« Eh ! madame Niçois !… vous avez vu les gens d’en bas ?
— En bas où ?
— Qui chargent les péniches ? »
Elle sait pas ça lui est égal, elle se retourne… elle ronfle… je regarderai tout seul !… je dois vous dire qu’en plus de voyeur je suis fanatique des mouvements de ports, de tous trafics de l’eau… de tout ce qui vient vogue accoste… j’étais aux jetées avec mon père… huit jours de vacances au Tré-port… qu’est-ce qu’on a pu voir !… entrées sorties des petits pêcheurs, le merlan au péril de la vie !… les veuves et leurs mômes implorant la mer !… vous aviez des jetées pathétiques !… de ces suspens ! alors minute !… que le Grand Guignol est qu’un guignol ! et les milliards d’Hollywood ! maintenant là, voilà c’est la Seine… oh ! je suis tout aussi fasciné… tout aussi féru des mouvements d’eau et des navires que dans ma petite enfance… si vous êtes maniaque des bateaux, de leurs façons, départs, retours, c’est pour la vie !… y a pas beaucoup de fascinations qui sont pour la vie… la moindre péniche qui s’annonce, j’ai ma longue vue, je la quitte plus de là-haut, de ma mansarde, je vois son nom, son numéro, son linge à sécher, son homme à la barre… je braque, la façon qu’elle prend l’arche d’Issy, le pont… vous êtes passionné, vous êtes pas… vous êtes doué pour les mouvements de ports, rafiots, trafics de quais et des barrages… la moindre yole qu’accoste, je dégringole, je vais voir… je fonçais !… je fonce plus… maintenant, la longue vue, c’est tout !…
La moindre percluse moisie péniche à ramper le long d’un canal j’allais avec jusqu’à l’autre bief !… oh, certes j’ai suivi les demoiselles !… bien des demoiselles !… mais j’ai passé autrement d’heures à me fasciner des mouvements d’eaux… de tout le cache-cache des arches… l’autre arche !… le gros bateau-citerne… un autre !… le petit yacht !… une mouette !… deux !… la magie des bulles au courant… clapotis !… vous êtes sensible ou vous êtes pas… la queue leu leu des chalands…
Par la fenêtre à Mme Niçois je voyais que le quai travaillait… on peut pas me dire !… des gens… je voyais que c’était une péniche… vous avez l’œil fait… ou vous êtes terrien bien obtus, cloporte ?… c’est une autre nature !… soit !… le genre « fanatique d’autobus »… bien !… moi là toujours à force de tellement regarder le quai je voyais que ce certain mouvement était pas du tout ce que je pensais… pas de péniches du tout !… pas pour un transbord de décombres !… ni de charbon !… pour un tout autre turf que c’était !… oui, là !… j’aurais pas dit !… le quai de la place ex-Faidherbe est vraiment jamais éclairé… c’est mon excuse… la mairie peut pas !… d’abord il passe pas assez de monde… ensuite les mômes cassent tous les globes !… leur joie !… ptaff !… l’adresse ! longtemps que la mairie a renoncé ! donc à la nuit : obscur total !… vous diriez Suez !… en plus que le quai est plus que crevasses et en zigzags !… des mètres croulés !… entièrement à refaire !… notre sentier aussi est à refaire !… qu’est-ce qu’est pas à refaire ?… et la route donc !… la grande usine doit s’étendre… moi là toujours par la fenêtre j’aperçois le certain trafic… pas transbord de sable ni de charbon… je le dis à Mme Niçois, là, sur le flanc… je l’ai réveillée… le quai l’intéresse pas du tout… elle est restée à tout à l’heure, ce qu’on parlait… la végétation en retard, le Printemps… elle me répond sur le Printemps… je l’écoute… oh ! mais on est dans le quiproquo !… moi, c’est le quai !… et je peux dire, dans le noir !… ça, le tout de même pas ordinaire que je vois : que c’est pas une péniche, du tout !… ah, moi l’extra-voyant lucide !… c’est un bateau-mouche, bel et bien !… que je vois même son nom ! son nom en énormes lettres rouges La Publique et son numéro : 114 !… comment je vois ?… peut-être d’une petite lueur d’ampoule ?… d’une vitrine ?… non !… toutes les devantures sont semble… ils montent sur le bateau… ils parlent à quelqu’un… et ils repartent… je dis : ils parlent ?… je crois… je les entends pas !… je les vois, c’est tout… monter, se croiser… par trois… l’allée et venue par la passerelle… je vois un petit peu leurs figures… je peux pas dire non plus… plutôt leurs silhouettes… oui, certes ! troubles silhouettes… pas nettes… trouble aussi, moi !… moi-même !… eh donc !… qui serait pas trouble ?… j’ai été un peu ébranlé… même vachement choqué !… je veux !… toute l’Europe au cul !… oui, toute l’Europe !… et les amis !… la famille !… à qui qui m’arracherait le plus !… et pas ouf ! les yeux !… la langue !… le stylo !… la férocité de l’Europe !… les nazis étaient pas baisants mais dites-moi la douceur d’Europe ?… j’exagère rien… le beau « Mandat » !… et tous les Parquets… j’ai éprouvé certains troubles, j’admets… la preuve, je suis pas très certain de très bien voir ces allées et venues du quai.
Zut !… je digresse… je vais vous perdre !… ce bateau-mouche est bien à quai !… je le vois ! personne me dira le contraire !… des groupes même !… vont viennent… prennent le quai d’ombre… queue leu leu… prennent la passerelle… montent à bord… oh, pas des promeneurs !… certainement !… l’endroit est pas à promenades… d’abord nous ne sommes que fin mars… une bise glaciale !… certes, nous avons connu bien pire… Korsör là-haut ! Baltavie, le Belt !… et question glace, je vous raconterai… mais là, c’est déjà pas mal !… pas à se promener !… une grelottine de zef bien traître… et ce bateau-mouche La Publique ?… pas un songe ! je le voyais, oui ! mais comme le reste… brouillagineux !… peut-être ma propre faiblesse ?… anémie ?… ou de tellement écarquiller ?… Mme Niçois m’écoutait plus… elle somnolait… c’est pas elle qu’aurait pu m’aider débrouillaginer le pour du contre ! si c’était un vrai bateau-mouche ?… d’abord et d’un, Mme Niçois même réveillée avait plus beaucoup la notion… fallait la voir venir chez moi… se rattraper aux branches… se rattraper à ceci… cela !… à rien !… elle titubait pas d’ivrognerie… non !… qu’elle était plus là… et c’est tout… au quai elle aurait pas tenu deux mètres… au jus ! vlof !… deux mètres !… pensez !… à moi d’y aller !… d’y aller voir !… pas elle !… je suis pas la nature hésitante… berlue pas berlue !… au fait !… au fait !… ou c’est La Publique ou c’est moi faribole et ivre !… de quoi ?… mes sens abusés !… un fait est un fait !… Agar est encore pire que moi question rationnel positif… un rien d’insolite ?… ouragan d’ouah !… ouah !… il est plus à tenir !… si il va la secouer la Place ex-Faidherbe et toutes les personnes qui vont, viennent !… soi-disant personnes !… et toutes les boutiques !… si il va les faire rouvrir !… j’ai qu’à dire : Agar !… oh, c’est lui le plus bruyant de la meute !… la preuve : les nerfs des voisins… « Piquez-le, voyons Docteur !… piquez-le donc ! il nous rend la vie impossible ! » pour un rien les voisins de banlieue vous leur faites la vie impossible ! la fatigue, l’esquintement des allers et retours, ils sont hérissés, sur les nerfs… votre clebs tombe pile ! plus les rancœurs de la vie !… épouses, ménagères excédées !… les grands magasins bien trop proches !… vous arrivez bien, vous, votre meute !
Moi là toujours, en attendant, Agar allait me mettre au point, si c’était des fantômes ou pas ? si j’étais victime d’illusion… oui ?… zut ?… un effet de l’eau ? « Je reviens tout de suite Madame Niçois ! » l’escalier !… nous voilà en bas, au trottoir… moi, le clebs… les gens vont… viennent… traversent la place ex-Faidherbe… parfaitement… Agar les renifle… il aboye pas… je vois pas les têtes de ces personnes… encapuchonnées qu’elles sont… pas des vrais capuchons, des loques !… des loques en bonnets… des sortes de turbans enfoncés, en tout cas elles se cachent la figure… vous dire si c’est pas ordinaire !… en plus n’est-ce pas il fait nuit… enfin, presque… il fait jamais tout à fait nuit… Agar aboye pas… je me rapproche du quai… là, je vois… oh, sûr !… là, certain !… le bateau-mouche !… un vrai ! et son numéro : 114… et son nom… je me rapproche encore… et un vieux !… pas du simili bateau-mouche, des modèles qu’on voit à présent !… cloches, coches à touristes !… tout vitres, vitrines ! que je vois passer d’en haut, de chez nous… non !… celui-ci est un vrai vieux !… le très démodé modèle… plus vieux que moi !… à énorme ancre… ancre en avant !… bouées tout autour… kyrielles de bouées… guirlandes de bouées, jaunes, roses, vertes… canots de sauvetage !… et la grande cheminée inclinable… et la dunette du capitaine !… même la peinture est de l’époque !… coaltar et lilas !… son écusson doit être nouveau, La Publique… je vous parle pas à lurelure… bateaux-mouches et patati ! je les découvre pas !… tous les dimanches, dans ma jeunesse, pour ma mine, nous le prenions au Pont-Royal, le ponton le plus proche-cinq sous aller et retour Suresnes… sitôt avril, tous les dimanches !… pluie, pas pluie !… chierie de mômes, à l’air !… tous les mômes des quartiers du centre… j’étais pas le seul « papier mâché » !… et les familles !… la cure !… à la cure, ça s’appelait !… Suresnes et retour !… bol d’air !… plein vent ! vingt-cinq centimes !… c’était pas la croisière tranquille… vous entendiez un peu les mères !… « Te fouille pas dans le nez !… Arthur ! Arthur !… respire à fond !… » les mômes le coup du grand air les faisait caracoler partout ! escalader tout !… des machines aux chiottes ! à se fouiller dans le nez, et se tripoter la braguette… ah ! et surtout à l’hélice !… au-dessus de ses gros remous… des tourbillons de bulles ! vous les trouviez là… quinze… vingt… trente… à s’halluciner… et les mères et les pères avec !… et de ces gifles !… les corrections !… ah ! Pierrette !… ah ! Léonce !… on se retrouvait !… hurleries !… larmes !… vlang ! vlaac !… à la mornifle et la cure d’air !… pas cinq sous par personne pour rien !… « Tu finiras au bagne, voyou !… » mômes, désespoir des familles !… « Respire, respire, jean-foutre ! »… beng !… vlang ! « je te dis ! » l’enfance alors, c’était des gifles ! « Respire donc à fond, petite frappe ! vlac ! laisse ton nez tranquille, scélérat ! tu pues, tu t’es pas torché ! cochon !… » les illusions quant aux instincts sont venues aux familles plus tard, bien plus tard, complexes, inhibitions, tcétéra… « tu pues, tu t’es pas torché ! te farfouille pas la braguette ! » suffisait avant 1900… et tornades de beignes !… bien ponctuantes ! c’était tout !… le môme pas giflé tournait forcément repris de justice… frappe horrible !… n’importe quoi !… votre faute qu’il tournait assassin !…
Ça faisait des bateaux-mouches bruyants… punitifs, éducatifs ! ça respirait dur, claquait tour de bras !… partout !… en avant sur l’ancre… en arrière au-dessus de l’hélice ! bang ! vlang ! « Jeannette !… Léopold !… Denise ! t’as encore fait dans ta culotte ! » qu’ils s’en souviennent de leur dimanche !… mômes « papier mâché », morveux, désobéissants !… le mal que c’était des parents de leur faire profiter du grand air ! qu’ils faisaient exprès de pas respirer !… Pont-Royal-Suresnes et retour !
Qu’ils se mettent tous ensemble d’un côté, tout le bateau penchait… forcément… les parents avec !… renouveau des mères ! « Tu le fais exprès, petit apache ! » et vlac ! et paff !… « Respire ! respire ! »… le Capitaine, de sa guitoune, vociférait… qu’ils se retiennent !… « Pas tous ensemble !… » au porte-voix !… mais va foutre !… ils s’agglutinaient plus ! encore plus !… et les mômes, et parents, grand-mères !… et gifles !… contre-gifles !… et pipis !… tout le rafiot à la même rampe !… à chavirer !… qui qui s’amuse sans désordre ?… plof ! bang ! « Clotilde !… ouin ! clac ! mornifles que veux-tu ! Gaston !… ta poche !… tu te touches !… pflac !… cochon ! »
Nous étions beaucoup à prendre l’air… c’était une croisière aussi qu’était joliment indiquée pour les petits asthmes, coqueluches, bronchites, Pont-Roval-Suresnes… toutes les boutiques, quartiers du Centre, Gaillon, Vivienne, Palais-Royal, étaient que des sortes de boîtes à mômes mines mie de pain… qui respiraient que le dimanche !… Quartier de l’Opéra… Petits-Champs, Saint-Augustin, Lou-vois !… à la cure !… les arrière-boutiques en avant !… si il fallait que ça profite !… « à fond ! à fond ! » Pont-Royal-Suresnes !
Pour parler de notre Passage Choiseul, question du quartier et d’asphyxie : le plus pire que tout, le plus malsain : la plus énorme cloche à gaz de toute la Ville Lumière !… trois cents becs Auer permanents !… l’élevage des mômes par asphyxie !… la Seine c’était tout de même mieux… la cure !… pour les beignes, du pareil au kif, croisière ou arrière-boutiques !… en ces temps-là on revisait pas les « programmes » tous les huit jours ! non !… mais gifles pas gifles, l’air, la mousse, l’hélice, le roulis, l’énorme bouillon, tourbillon de bulles, c’était tout de même un paradis !… et « les mouettes maman ! » bang !… « te penche pas ! » surtout à partir de Boulogne les mômes se tenaient plus ! le Bois !… l’air était trop vif !… les mères les rattrapaient plus… vous les retrouviez pleurantes aussi… sanglotantes partout ! sur tous les bancs… « Clémence ! Clémence !… où t’es Jules ?… » ça redevenait à peu près convenable qu’après le Point-du-Jour… les mômes redevenaient plus tranquilles… c’était déjà plus que des maisons… plus d’arbres… le retour… l’air de Paris… le Pont de l’Alma…
Mais moi, doucement, je vous perds de vue !… je vous raconte des histoires d’enfance !… je suis pas descendu pour vous perdre !… raison que je fasse attention !… je vois un peu flou… je vous ai dit… la place ex-Faidherbe et le quai… pas d’éclairage… et pourtant je vois les personnes… ces sortes de personnes… et le bateau-mouche… oh ! le bateau-mouche, bien plus net !… pas en illusion du tout !… et tous ces espèces qui vont, viennent, traversent la place… et rebroussent chemin… question bateau, tout gâteux que je suis, j’ai pas perdu son nom de vue, son écusson : La Publique… ni son numéro : 114, voilà les faits !… pendant que j’y suis, je regarde autour… tout autour… cette place ex-Faidherbe… les magasins… pas un ouvert !… ni allumé… pas une devanture, là, je vois bien net que ce bateau-mouche, La Publique, est pas du modèle actuel !… ah, pas du tout !… comme ceux que je vois d’en haut, de mes fenêtres, bourrés de touristes !… je vous ai dit ?… ni même du modèle 1900 !… celui-là c’est vraiment un antique, presque tout en bois… autre chose que je comprenais mal, la façon que je voyais ces gens, aller, revenir… il faisait noir… il faisait nuit… pas un réverbère allumé !… ni la place… la route… les boutiques… pas un néon !… faudrait que je sache un peu ce que je dis… pas que je m’embrouille pas tout comme Mme Niçois… néon, vitrines, becs de gaz ! comment vous allez vous reconnaître ? moi là en tout cas ce va… vient… par deux… par trois… était pas douteux… je vous ai déjà dit… question fraîcheur, il faisait presque froid… pour voir ?… je voyais l’autre côté… l’autre berge en face !… oui !… l’île !… et l’usine !… toute l’usine… pendant que j’y suis, que je suis descendu, je regarde tout… et en l’air !… le ciel !… je cherche à voir !… rien !… un peu les étoiles ?… je sais pas trop !… des clignotements ?… peut-être d’avions ?… non !… c’était la nuit et puis c’est tout ! question lampadaires, les mômes les avaient tous pétés !… si donc y avait une certaine lueur, elle venait pas de la lune, ni des lampes du quai, ni des retlets de l’eau… le tintouin moi, c’est la raison !… il faut que je m’explique !… je suis le médecin du total scrupule !… je supporte pas l’anormal !… un fait est un fait !… ou c’est ! ou c’est pas !… vide latus !… peut-être alors si on peut dire, une certaine phosphorescence ?… phénomène joliment subtil ! les rares fois où je me suis trouvé frôlé par ces sortes de subtilités… anomalies !… il m’en est resté une horreur !… je suis le positiviste en personne !… un fait est un fait !… ce bateau-mouche-là, des mystères ?… je t’y en fouterais ! je t’y y retournerais la quille ! sens dessus dessous !… j’y regarderais le derrière !… et tous ces gens ! fantômes ou pas !… et l’île en face !… et l’usine dessus !… je la ferais couler voir si elle flotte ! l’usine ! ah ! le monde veut rire ! attention !… mais la berge l’autre bord ?… je la vois mieux que celle-ci !… et mieux qu’en plein jour !… je voyais même, L’Héraclite l’autre berge… une péniche tout ce qu’il y a de sérieux… à linge pendu… cuisine qui fricote…
Ah ! et aussi tout du long l’autre bord, la plage aux petits peupliers, Billancourt…
Enfin, étrange pour étrange puisque j’étais descendu pour me rendre compte si c’était du rêve, pas du rêve… du saindoux, des gens, des nèfles, Christophe Colomb ? Cortez ?… ectoplasmes ou rien ? c’était d’en avoir le cœur net !… j’avais des-cendu mon Agar… qu’Agar aboie ?… c’était des gens !., lui, pas de mirages !… ah, ouiche !… salut ! il reniflait !… les rereniflait !… j’avais bonne mine !… beau le stimuler : ksst ! Agar !… Agar !… ksst !… il voulait pas !… lui, le vociférateur fini !… le fléau des voisins !… « Il nous rend la vie impossible !… » maintenant là, basta ! j’aboyais moi-même, qu’il s’y mette !… ouah ! ouah ! qu’il me réponde !… va foutre !… il reniflait ces passants, c’est tout !… si il voulait bien aboyer, Lili l’entendrait !… et ça lui donnerait de mes nouvelles… un moment qu’on était partis !… on entendait tout très bien là-haut, tous les bruits de la Seine et des quais… si Agar voulait aboyer tous les chiens lui répondraient… on entend tout très bien de chez nous… ça monte !… les sirènes d’usines, les cloches, les cris des mômes, le barouf des bennes… tout !… mais Agar juste veut pas hurler !… il fait autant de bruit qu’un remorqueur… quand il veut !… mais là, nib ! il renifle… tous ces passants un par un… et puis les graviers… et puis il pisse !… et il retourne renifler… je vais hurler moi-même vers Lili puisque c’est comme ça ! vers Bellevue, vers la hauteur… « Ohé ! Lili !… » j’ai un petit peu la voix aussi !… pardon !… la voix de polygone !… la voix du 12e Cuirassiers !… « Ohé ! Lili ! » je porte au moins jusqu’au pont d’Auteuil… je m’entends !… l’écho !… à ce moment-là juste : une main ! une main me touche le bras… je me retourne pas… Agar renifle fort… plus fort !… je me retourne… quelqu’un !… je vois un personnage, une sorte de chienlit… chienlit gaucho boy-scout, un déguisé, quoi !… en énorme pantalon à franges… et le bada feutre, à franges aussi !… bada, pantalon, petite blouse… tout colorié !… toutes les couleurs !… un cacatoès !… et de ces éperons !… l’immense chapeau, jaune, bleu, vert, rose, enfoncé jusqu’à la barbe !… oui !… la barbe frisée blanche… Père Noël !… l’olibri se dissimulait !… sa figure était pas à voir ! césig se cachait !… entre sa barbe et le parasol de son bada… que vous auriez fait ?
« Qui c’est que t’es ? »
Je demande…
Oh ! mais là, d’un coup j’y suis !… ça y est !… je l’embrasse ! c’est lui !… on s’embrasse !…
« Ah ! c’est toi !… c’est toi ! »
On se rembrasse !… c’est La Vigue ! ce que je suis heureux ! La Vigue, là !
« C’est toi !… c’est toi !… »
Parole !… c’est lui !… pour une surprise !… lui là, en chienlit !… Le Vigan !…
« D’où tu viens ?
— Et toi ? »
Bien sûr y a longtemps qu’on s’est vus… depuis Siegmaringen… il s’en est passé…
Traqués à mort qu’on a été… pas qu’un petit peu !… et en Cour !… ce qu’il a pu être héroïque !… quelle attitude ! je pense la façon qu’il a fait face !… et en menottes !… qu’il m’a défendu !… y en a pas beaucoup !… y a personne !… et la horde chacale plein la salle !… et qu’il a fallu qu’ils l’écoutent !… forcés !… que c’était moi le seul patriote !… le vrai patriote !… le seul !… qu’ils étaient eux, baveux, râleux, que venimeux hyènes !
De le retrouver là, quai Faidherbe !… La Vigue !… La Vigue !…
« Alors ?… alors La Vigue ?
— Parle pas si fort !… »
Je chuchote : « T’es du bateau-mouche ? »
Je voudrais qu’il me dise…
« Oui… oui… Anita aussi !… fais attention parle pas fort… Anita, ma femme… Anita est dedans !… »
D’habitude je saisis assez vite, mais là c’était beaucoup d’un coup… La Publique, le Vigan dessus… Le Vigan, gaucho !… à barbe blanche, moi qui le croyais à Buenos Aires !… en plus, avec une Anita… je la voyais pas cette Anita…
« Elle est dedans… elle est aide-soutier… tu connais pas le soutier non plus ?
— Non ! »
Le soutier ? d’où je l’aurais connu ?
« Mais si !… mais si ! tu le connais !… voyons !… c’est Émile ! Émile de la L.V.F. !… Émile, du petit garage Francœur !… c’est là que t’avais ta moto ! »
Il me remuait un peu les idées… ah ! oui !… ah ! oui !… le garage Francœur… la porte cochère… oui !… au fait ! Émile… la L.V.F. !… ma moto… je me souvenais presque… oui !… c’est ça !… il avait raison ! qu’était parti à Versailles… et puis à Moscou !… exact !… exact !… on avait su !… et puis qu’était revenu de Moscou… la preuve !… mais qu’est-ce qu’il foutait soutier ? là quai ex-Fai-dherbe ?… La Publique ?… soutier ?… l’Anita avec ! et lui l’admirable La Vigue ? quoi ?… cher Le Vigan !… receveur, il me tape, il me secoue sa sacoche, une sacrée besace !… ballante sur le ventre… et qui sonne !… il me montre !… il l’ouvre !… pleine de pièces d’or !… plutôt une gibecière !…
« Alors, t’encaisses ?
— Tu parles !… et que du dur ! le dur !… le dur !… la barque à Caron ! tu penses !… »
Je veux pas avoir l’air étonné… même je trouve ça tout naturel…
« Bien sûr !… bien sûr !…
— La barque à Caron ?… tu sais bien ?
— Oh ! oui !… oh ! oui !… évidemment !
— Maintenant tu vois c’est celle-là ! »
Oh ! que bien sûr !… bien naturel !… La Publique la barque à Caron ? je demande pas mieux, moi !… je veux bien !… La Publique c’est le blase ?… bon !… bon !… je veux bien tout !…
« Alors dis, c’est des morts tout ça ? »
Que j’en aie le cœur net…
« Tous ceux qui montent ?
— Qui veux-tu que ce soit ? »
C’étaient des morts… bon !… je lui demanderai plus… l’essentiel qu’il était là, lui ! et pas mort !… pas mort !… attifé drôle… oui ! mascarade !… la barbe aussi… et quelle barbe !… par-dessus sa gibecière !…
« T’as pas ton lasso ? »
Pendant qu’il y était, un lasso !
Je manque de tact…
« C’est pas de lasso qu’il s’agit ! fric, first, fils ! »
Comme il parle ! et en anglais !
« Picaillons, fils !… et que du dur !… et que ça se comprenne ! et que ça saute ! je t’assure que Caron s’entend !… tu le verras t’as qu’à rester !… »
Il est avenant.
« Mais dis, pourquoi je te vois, moi ?… pourquoi ?… et le bateau ?… rien est allumé sur le quai !… regarde ! »
Un doute, tout de même…
« Oh ça, c’est que t’es fait pour nous voir !… spécial, tu sais ! spécial !… tu comprendrais pas !… »
C’est commode comme explication.
« Et puis, j’ai pas le droit !
— T’as pas le droit ?… eh dis, qu’Agar aboye pas, c’est spécial aussi ?
— Peut-être… peut-être…
— Tu peux pas m’expliquer non plus ?
— Foutre, non ! »
Agar cette effroyable gueule d’un coup : chien muet !… spécial discret !… je dois y croire, moi ?… l’Agar magique ?… rafiot magique ?… La Vigue magique ?… qu’ils soient tous morts ?… bon !… bon !… peut-être ?… des morts c’est déjà quelque chose…
Puisqu’il fallait avoir l’air !
« Pourquoi t’es revenu ?… tu te défendais plus là-bas ? »
Je connaissais sa situation… qu’il risquait encore beaucoup…
« Écoute !… je pouvais plus… voilà !
— Tu t’emmerdais ?
— Oui !
— Je te comprends… »
C’était exact, je le comprenais… il faut avoir ressenti… plus pouvoir tenir… risquer tout un moment donné… d’être né ailleurs… la mort, mais ailleurs !… l’attirance pas à raisonner… même très discrètement… le retour !… l’aimant animal que c’est…
Bien ! bon !… j’admets… soit ! mais les gens là qui vont viennent… qu’arrêtent pas… retraversent la place… montent à bord… repartent… qu’est-ce qu’ils foutent eux ? peut-être ceux-là au moins il peut me dire !…
« Ils retournent chez eux chercher l’obole ! »
Je l’agace…
Retourner chez soi chercher quelque chose ?… je pense… voilà des morts qui doutent de rien !… zut !… moi qu’ai passé mort !… réputé mort !…, entendu mort !… il aurait fait beau que je revienne demander un mouchoir !… une épingle !… tout berzingue qu’on m’a hérité ! vaporisé ! à zéro !… qu’est-ce que j’ai retrouvé ?… zébi et des menaces !
« Ah ! dis rigole ! je lui fais… tu retrouveras toi quelque chose chez toi ?…
— Chez moi, où ? »
L’ahuri !…
« Où t’étais, quoi !… Avenue Junot !
— Oh ! pas question !
— C’est des morts alors ces mecs-là ?
— T’as pas vu ?… tu sens pas le relent ? »
Exact !… je sentais… Agar les reniflait… mais je pouvais pas le faire aboyer !… lui qu’aboyait pour des riens !… une feuille au vent ! il aboyait plus !… « Pour toi non plus il aboye pas… le quai lui en impose !… pas que les morts !… toi t’es vivant ? »
Il me reste un petit doute…
« Mais dis-moi, comment t’es là ?… comment t’es parti ? »
Qu’il m’explique…
C’était compliqué… je l’écoute… il travaillait en Argentine… il avait trouvé, un coup de pot !… une « figuration » avec sa femme, Anita, un « extérieur »…
Tu vois les éperons ?… vise !… « gaucho » !… un film qui devait durer deux mois !… tout de suite j’ai un rôle… je demandais rien, tu penses ! ils me forcent presque !… demande à Anita !… un film historique… « gaucho » d’abord… et puis « brigand »… et puis « général d’insurgés »… un film sur l’Histoire de là-bas… je dis : ça va !… juste Peron tombe !… et c’est lui qui subventionnait ! je dis : Salut ! je taille ! taillons ! j’allais pas rester !… moi, Anita !… moi dis, Lebrun ! Pétain ! Hitler ! j’avais assez ri !… Peron… merde !… tais-toi !… tous les ports bouclés, interdits !… mignons !… on trouve un cargo pour la France qu’à Santiago du Chili !… tu te rends compte ?… tiens-toi !… toute la traversée de l’Amérique ! toute la pampa !… trois mois d’herbe !… haute comme ça, l’herbe ! »
Il me montre…
« Tu connais pas la pampa ?… trois mois !… Anita en espadrilles !… moi dis, les bottes !… je refais des semelles à Anita… je m’en refais… en écorces qu’on trouve… pas facile !… si tu trouves des pneus de camions !… ça va !… mais les arbres !… à la Cordillère on trouve tout !… de tout !… tout un campement !… camions ! cuisines ! de tout !… il était temps ! et tiens-toi !… un tortillard !… un vrai dur !… une ville de gauchos !… ah ! dis ! je te dis les espadrilles ! des pleins hangars d’espadrilles ! et des bottes !… si on se reboume ! t’aurais vu !… ils nous couvrent de tout !… c’est simple !… et du pognon, dis ! je voulais pas, ils me forcent, ils se fâchent !… ils m’avaient vu, ils avaient une salle, ils me connaissaient !… ” sonore ” et tout !… ils m’avaient vu dans ” Goupil “…
— T’étais merveilleux !… »
Il me laisse pas finir, l’inoubliable qu’il était !… etc. etc. pas seulement « Goupil »… dans bien d’autres films. !… lui faut qu’il parle ! moi que je me taise ! et qu’il raconte vite !… on aura pas le temps !
« De quoi le temps ?
— Caron ! voyons ! »
Il est repris de sa peur… Caron !… le soi-disant Caron…
Là, une chose…
« Comment t’as trouvé le bateau-mouche ?
— Par Émile !… Émile !… c’est Émile ! »
Il l’appelle.
Il est au boulot, Émile… il descend… plutôt il déboule… la passerelle… La Vigue m’annonce.
« C’est Ferdinand ! »
Émile me reconnaît pas du tout… et moi non plus je le reconnais pas… je le remémore pas… moi, évidemment j’ai changé… lui ? je cherche…
La Vigue me réexplique tout… la tribulation… tout ce qu’est arrivé à Émile… c’est pas de la vétille !… il sort du cimetière !… Émile ! Émile, oui !… je peux ne pas le reconnaître !… du cimetière, en plein !… de la fosse commune… Voilà les choses !… du détail : comme il sortait du bureau de Poste les flics qui le filaient, le piquent… coiffent ! menottes !… top ! « par ici » ! l’emmènent !… veulent !… la foule les laisse pas !… les passants !… ils l’arrachent aux flics ! « une ordure de la L.V F. ! » que toute la foule se rue dessus !… le lynche ! désosse ! décarpille ! à l’instant même ! ils y cassent tout !… fémurs !… tète ! bassin !… ils y arrachent un œil !… pour ça qu’il portait un bandeau… et marchait si drôle, sous lui ainsi dire, en araignée, et tout rotatif… je le voyais descendre la passerelle, il était pas à reconnaître, il faisait insecte-monstre… sa connerie faut dire de s’être montré juste ce jour-là !… et au bureau de Poste !… la grande !… les bourres encore c’était rien, mais la foule !… ils y avaient même pas laissé le temps d’arriver au Quart !… rue du Bouloi !… en hachis qu’ils l’avaient mis !… hachis et bouts d’os !… c’est ça la pensée de la foule : hachis et bouts d’os !… comme ça sur le trottoir devant le bureau de Poste… la grande !… un tombereau qui passait des Halles… « à la viande ! » qu’ils hurlent ! l’équarrisseur en veut pas… « à Thiais » ! à la fosse !… direct !… pensez c’était fatal aussi… il tombait un jour de la plus grande Gloire de Vengeance… il était pas le seul, Émile !… des milliers ce jour-là, s’être fait lyncher… ce jour-là même !… reconnus L.V F.ou autres… ci !… là !… en province… et Paris…
Bon !… Émile à la fosse… voilà qu’au bout de cinq… six jours… les morts se mettent à s’agiter… même qui dirait grouiller sous lui !… les maccabs… ça se met à bouger, lui remuer dessous !… et sur lui !… et à s’extirper !… positif ! se sortir de la fosse… ils s’hissent !… Émile qui revenait de devant Moscou, qu’avait subi trois hivers russes, avait vu quantité d’autres gniafs enfouis d’autrement pires façons !… s’extirper de trous autrement énormes ! cratères, fondrières, des vrais Panthéons sens dessus dessous !… il racontait… il allait pas être surpris !… des amoncellements de débris de tout !… villes entières, faubourgs, usines, et locomotives !… et les tanks, alors ! des armées de tanks dans les ravins d’une profondeur que les Champs-Élysées, l’Arc, l’Obélisque, auraient disparu, enfouis !… facile ! vous dire s’il était préparé, l’Émile ! ni une, ni deux !… pris sous les maccabs, à Thiais, il se raccroche aux loques !… bouts de viandes… bouts d’habits !… et hop ! il s’hisse ! il s’hisse avec ! puisque ça bouge !… soit !… lui aussi ! il profite !… il se fait haler ! oui !… sortir !… et vous pensez si il souffrait ! mais il lâchait pas !… ils partaient ?… il partait avec !… il descendait avec eux !… vers la Seine… vers la berge, là… agrippé après !… eux comme en pèlerinage… par deux… par trois… et comme en prière… jusqu’à La Publique… bon !… le pèlerinage d’aucun bruit… Émile non plus faisait pas de bruit… personne mouffetait… la hantise d’Émile : pas de bruit !… pas de se faire remassacrer !… remarquer… il savait, voilà ! il savait !… que c’était ça, tout… surtout d’éviter les vivants !… il avait vu au bureau de Poste ! ah ! un peu ! flics, pas flics ! s’il se faisait encore repérer il coupait pas !… finesse d’Émile !… la drôle de chance qu’il avait eue de se trouver en fosse avec des gens qui s’extirpaient ! juste !… qu’il allait pas les quitter !… « Ils vont par là ?… Gi ! je colle !… » il collait… le sentier… les zigzags… la descente… et la passerelle !… ah ! mais là !… juste là !… à peine là, un pied sur le pont… un stentor, une voix ! « Qu’est-ce que vous foutez ?… » et puis des « tu »… « d’où tu sors ? Qui t’es ? » il voit pas l’être !… derrière lui, l’être… il se retourne pas…
« Je sors de la fosse !… je suis avec eux ! – Ah ! t’es avec eux, voyou ! ah ! t’es avec eux, menteur ! saleté ! ah… t’es avec eux ! »
Et brang ! vrang !… encore son crâne… en plein crâne ! bang ! de quoi il se sert ?… un marteau ? vrang ! il tombe évanoui !… il a pas vu le monstre… pas eu le temps… qui est-ce ? « Je suis Caron, t’entends ! » Il revient à lui… il voit l’être… un formidable !… quelque chose ! il me raconte : au moins trois… quatre fois comme moi !… un Bibendum ! mais la tête, alors, de singe ! un peu tigre ! moitié singe… moitié tigre… rien que son poids il fait tout pencher… tout le bateau !… habillé, il me raconte encore… en genre redingote… redingote, mais uniforme !… redingote brodée larmes d’argent… mais le plus bath : sa casquette ! formidable comme lui ! et d’amiral !… haute ! large ! brodée or !
Je me marre comme Émile raconte.
« Oh ! tu le verras !… pas de quoi rire !… au moins trois, quatre fois grand comme toi !… je te dis ! quand il t’arrangera la tronche ! »
Mes petits ricanages… lui La Vigue, se tait…
« Tu le verras !… sa rame dans ta gueule !… tu le verras ! »
Il me promet… « Il leur fend le crâne à l’aviron !… dis !
— Ah ? »
Comme surpris, je fais… l’aviron de Caron, qu’il veut dire…
« Tous ceux qui montent, il les arrange, tiens !… hein La Vigue ?… il leur rame dedans… dans le chapeau ! en plein ! il leur godille dedans je te dis !… hein, La Vigue ?
— Oui !… oui !… »
La Vigue confirme…
« Sa façon que personne lui manque !… la loi, quoi !… la loi !… et que ça raque !… te dis !… j’y aurais fait comme j’ai fait : présent ! Émile !… mais les ronds ? j’aurais eu des ronds il me prenait ! pas un pli !… il me finissait ! il m’embarquait ! je lui disais : « Monsieur, voilà l’or !… » Gî ! avec les autres ! avec lui : doulos ! doulos !… tu verras un peu ce qu’il leur file !… ils ont ?… ils ont pas ? vrong ? brang !… ombres ou ombresses ! chichis ?… zéro !… vrong !… les ronds ! mon Amiral !… sauvagerie totale !… pas de temps à perdre !… les ronds ! vous les avez ?… les avez pas ?… les mères !… les mômes !… kif !… brang ! déchiqueterie !… l’obole !… et cash !… « vous avez pas ?… retournez chez vous !… » tu les vois ?… ils remontent chez eux !… hein, La Vigue ?… dis ?…
« Oui !… oui !… si !…
— C’est à lui qu’ils raquent : pas Robert ?… pas vrai, Robert ?
— Oui !… oui !… oui !… »
J’ai qu’à voir l’énorme sacoche !… ah ! aussi l’aviron que je vois !… le fameux !… vraiment, il a pas menti, un morceau ! il peut godiller avec ça !… exact !… et je m’y connais en aviron !… je le vois là posé, du quai au haut de la cheminée !… cette portée !… plus long que la passerelle !… pas un homme qui peut soulever ça !… qu’un monstre !… pas une force d’homme… il pouvait leur éclater le crâne !… je comprenais… mais peut-être qu’ils se foutaient de moi ? là ?… tous ?… La Vigue, l’Émile et la fille ?… tous !… crânes… pas crânes ! d’abord, une chose !… la façon qu’ils étaient venus là ?… eux ?… comment qu’ils s’étaient rencontrés ?… La Vigue, éperons, sombrero… et l’Émile-Cimetière ?… et la demoiselle Anita ?… j’étais trop vieux et fatigué pour trouver une chose impossible… tout de même une chose sûre certaine, j’allais foutre le camp ! rame, pas rame !… Caron, pas Caron !… tout ça bien anormal, oui !… bizarre… nous dirons : curieux… vous êtes né curieux vous l’êtes pour toujours… mais là l’Émile, La Vigue, la poupée, étaient un peu plus que bizarres !… et leur bateau La Publique donc !… en partant, une dernière question !… je demande : « Où vous vous êtes rencontrés ?…
— À l’Ambassade d’Argentine. »
Il ajoute :
« Rue Christophe-Colomb !
— Mais t’en revenais, toi, d’Argentine !
— Alors ? on s’est retrouvés, c’est tout ! Nous Anita, on voulait retourner !… Émile, Caron l’avait viré ! t’as pas compris ?… il voulait voir, il connaissait pas l’Argentine ! »
Ils avaient pas les vrais fafs, Anita, lui !… ils étaient partis clandestins de Santiago !… ou d’ailleurs !… tout ça mentait !… lui toujours, une chose sûre certaine, La Vigue, il se faisait piquer, même après tout ce qu’on avait dit, « grâces » et patata… il prenait le coup d’ours !… 10 ans !… 20 ans !…
Cristi gaucho mi-carême on t’y en fouterait de la façon de rire !… et du cinéma !… oui !… c’était plutôt urgent qu’ils rebarrent, lui et sa poupée !… mais l’autre, Cézig des Cimetières, qu’est-ce qu’il venait foutre à l’Ambassade ?… glander ?… touriste ?… l’Émile L.V.F.?… il était pas d’Argentine, lui !… oh ! une idée d’aller là-bas !… de se refaire une vie !… qu’il disait !… continent neuf !… s’il s’était fait foutre à la porte !… « vous lisez donc pas les journaux ?… vous savez pas ce qui se passe alors ? vous êtes pas péroniste, des fois ? » lui qui tenait que par bouts et lambeaux et par des ficelles, ils allaient le questionner de plus près… s’il avait débouliné !… broum ! au trottoir !… comme ça qu’ils s’étaient retrouvés ! « bonjour ! bonjour ! comment Ça va ?… toi ? toi ? toi ? » ah ! pas les seuls sur le trottoir ! une sacrée fournée !… la foule !… postulants pour le monde nouveau !… ce qui l’avait le plus gêné La Vigue il me disait c’était son costume… ses éperons surtout ! ces gens-là, la queue, demandaient d’où il pouvait venir ?… « d’Argentine » !… ils voulaient pas croire…
C’est vrai, des éperons, je m’y connaissais aussi, un cheval il l’aurait transpercé !…
« Oh ! t’es-tu marle ! »
Il se vexe… il m’explique :
« J’ai été historique !… comprends !… un épi-sode !… des éperons que tu peux pas enlever, cousus à même !… ils s’habillent plus comme ça du tout ! un film d’époque !… tu sais ce que c’est qu’un film d’époque ? »
C’était moi, l’idiot !
Et l’autre ?… l’Émile ?… il était peut-être aussi d’époque ?… peut-être ?… et le bateau-mouche ?… et tous les gens de l’allée et venue ? par trois… par quatre… la procession ? ils étaient pour Caron tout ça ?… porter leurs os !… se faire recevoir à la godille !… vrrrang !… cervelles volent ! c’était à comprendre… et que ça se passait place ex-Faidherbe sous la fenêtre de Mme Niçois… enfin au quai… et qu’Agar les reniflait, c’est tout… j’avais beau kss ! kss ! tant et plus ! il refusait d’aboyer ! lui pourtant, une gueule !… un lion !…
Enfin, une chose… j’étais descendu pour Mme Niçois, son pansement, et je me trouvais embringué dans un de ces micmacs !… méli-mélo… où ça allait ?… c’était tout imaginatif ?… l’Anita, la brune en bleu de chauffe ?… l’aide-soutière d’Émile L.V F.?… et les êtres là, soi-disant morts, que je voyais très bien défiler, qu’arrêtaient pas… traverser la place ex-Faidherbe… et remonter chercher leur obole ?… et tout ça, hein ?… sans éclairage…
Pas un réverbère !… pas une devanture !… j’ai expliqué… c’était moi ?… un rêve ?… j’ai été très brutalisé… certes !… j’admets… je me ressens fort de certains chocs… j’ai le style émotif, intérieur !… oui !… mon privilège !… mais de telles hallucinations ? auditives, encore… peut-être ?… mais visuelles ? littérature !… visuelles !… l’extrême… extrême rareté !… visuelles !
Ce qui serait pas du rêve c’est si leur Caron rappliquait !… leur soi-disant monstre à la rame, et qu’il me demande ce que je foutais ?
« Dis Émile, comment qu’il t’a pris chauffeur ?
— Chauffeur et mécanicien ! »
Sec, il me reprend ! « Mécanicien !
— T’étais pas !
— Que si !… que si !… t’es assez venu !… merde !… tu te rappelles pas ? ta moto ?
— Ah ! oui… ah ! oui… »
Il se vexait que je me souvienne pas… son atelier rue Caulaincourt… oui… rue Caulaincourt… loin !… vélo… rue Girardon, rue Francœur, et le reste !… d’en parler il me faisait souvenir… tout !… qu’est-ce qu’ils m’avaient pris !… en somme, j’avais sauvé que Bébert !… lui là l’Émile ce qui me gourrait c’est qu’il avait tant rapetissé… recroquevillé… brisé et tordu sous lui-même en au moins quinze ou vingt endroits… comme ça, rotatif sous lui-même… les « Vengeurs de choc » ou Caron… ils l’avaient gâté… il avançait par sortes de tours !… un tour !… deux tours !… et le sens inverse ! en araignée !
« Dis !… tu dis Émile que les passagers c’est payant ?… »
« Je pensais à moi…